En 2014, la loi ALUR avait semblé amorcer une première étape vers la reconnaissance d’un droit à un “habitat digne“ pour les voyageurs. Le code de l’urbanisme prévoit en effet « L’aménagement de terrains bâtis ou non bâtis, pour permettre l’installation de résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs…. « . De la même manière, les « terrains familiaux locatifs » destinés à l’installation des résidences mobiles de gens du voyage désireux de disposer d’un ancrage territorial sans toutefois renoncer au voyage une partie de l’année, pourront également être installés dans des pastilles…. » Ces premières avancées du droit avaient été saluées alors par les associations mais, après le départ de la Ministre Cécile DUFLOT, les décrets d’application ont montré les limites et la complexité de ce texte dont les conséquences pratiques pour les voyageurs, deux ans plus tard, sont illisibles. Si, le 9 juin 2015, l’Assemblée Nationale a voté en première lecture l’abrogation de la loi du 5 janvier 1969 (aujourd’hui encore en discussion au Sénat), ce texte important qui reconnaît la citoyenneté pleine et entière aux voyageurs n’aborde pas, il faut le regretter, la reconnaissance de la caravane comme un logement.
Lors du colloque organisé à Rennes en septembre 2015 par les associations de voyageurs, le député Dominique Raimbourg, qui préside aujourd’hui la commission nationale des gens du voyage, a reconnu les limites de ces avancées juridiques et les obstacles de tous ordres qui s’opposent à leur mise en œuvre sur le terrain. On peut souhaiter que la nouvelle Ministre du logement Emmanuelle COSSE, reconnue comme compétente et ouverte aux débats avec les gens du voyage, contribuera à lever les obstacles qui s’opposent aux droits à l’habitat de gens du voyage.
Dans les Bouches-du-Rhône, comme dans la région, ces avancées du droit pour les gens du voyage et ceux qui se sédentarisent sont encore fort modestes. Depuis quelque temps, on a cependant constaté que certains tribunaux prenaient davantage en compte le point de vue des voyageurs et des mal-logés. Lors de la commission départementale du 10 février dernier, le Préfet des Bouches-du-Rhône a une nouvelle fois constaté et regretté l’important retard dans la mise en œuvre du schéma départemental d’accueil. La présentation d’une étude sur la sédentarisation dans le département a mis en lumière la carence des outils permettant de répondre aux trop nombreuses situations d’habitat indigne. Cette étude ne doit pas, comme les précédentes, rester lettre morte et l’Etat et les élus se doivent de prendre en considération les propositions opérationnelles qui sont faites.
Ces timides avancées du droit à un habitat décent pour tous viennent d’être heureusement confortées par une décision de la Cour de Cassation à marquer d’une pierre blanche (ci- jointe). Par un arrêté en date du 17 décembre 2015, la Cour a en effet annulé une décision de la Cour d’appel de Versailles ordonnant l’expulsion, d’une famille habitant en caravane sur un terrain non-constructible dans la commune de Saint Herblay. L’argument de la Cour est fondé sur le fait que les requérants n’ont pas bénéficié d’un examen convenable de la proportionnalité entre le droit du propriétaire et l’ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile conforme aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Un telle référence à l’article 8 de la part de la Cour de Cassation, régulièrement rappelée, sans succès à ce jour, par les avocats, est donc un atout essentiel pour les plaidoiries à venir et doit faire jurisprudence.
Une autre décision importante du TGI d’Orléans en date du 15 janvier 2016 vient conforter cette évolution jurisprudentielle encore trop peu connue. Le juge était saisi en référé par deux familles installées sur un terrain d’accueil. A la suite d’un litige avec le gestionnaire et à la demande de la commune, l’eau et l’électricité avaient été coupées. Le Tribunal a considéré qu’il s’agissait d’une atteinte au droit à un logement décent, droit reconnu par les articles 25 et 26 de la déclaration universelle des droits de l’homme et de la loi du 5 mars 2007 instituant un droit au logement opposable. La Commune et la société Vago ont été condamnées à rétablir les fluides et verser une amende de 1200 € aux familles.
Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps, mais ces deux décisions, avec quelques autres, sont le signe d’une évolution positive des tribunaux et du rôle grandissant tenu par la législation européenne. Face aux pouvoirs exécutif, législatif et médiatique qui, trop souvent, manifestent leurs réserves sinon leur hostilité à la reconnaissance des droits des minorités, le pouvoir judiciaire est un recours qui montre le chemin à suivre.
Marseille le 15 février 2016
Alain FOUREST
1602 Analyse arrêt CC 17 décembre 2015 N 14-22095-SR
Cassation