En mai 2008, ce même titre ouvrait l’éditorial du site de Rencontres Tsiganes et nous écrivions « Les propos tenus récemment par Madame le maire d’Aix-en-Provence ou encore ceux des maires de Cogolin ou de Nice, reflètent une intolérance qui va croissant et qui ne peut qu’aggraver les incompréhensions et la fracture entre la population et les tsiganes, qu’ils soient voyageurs, sédentaires ou Roms venus du reste de l’Europe. »
Deux ans plus tard, en juillet 2010, prenant prétexte des incidents violents survenus dans la commune de Saint-Aignan entre des gendarmes et un groupe de gens du voyage sédentarisés, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, dans un discours à Grenoble, mettait en cause l’ensemble des gens du voyage et des Roms et engageait contre eux une répression systématique et aveugle. Avec beaucoup d’autres mouvements, LDH dénonçait alors ce discours xénophobe : Plutôt que d’en faire des boucs émissaires et d’exacerber les passions, le gouvernement se devrait de suivre enfin les recommandations qui lui sont faites pour affirmer l’égalité des droits. (CNCDH 2008, Halde 2009, Ecri /Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe 2010.etc…)
Depuis mai 2012, on était en droit d’espérer que le gouvernement renoncerait à cette politique de stigmatisation que nous ne cessons de dénonçer régulièrement. En juillet dernier, le blocage d’une autoroute au nord de Paris par un groupe de voyageurs qui revendiquait la présence de l’un des leurs à un enterrement a remis le feu aux poudres. Le 20 octobre à Moirans en Isère, un groupe de Gens du Voyage a de nouveau utilisé la violence pour tenter de faire pression sur la justice. Longuement exploités médiatiquement et politiquement, ces graves incidents ont mis en cause une supposée faiblesse de la répression. C’est ce qui a conduit le Premier Ministre Manuel Valls à se rendre sur place le 6 novembre et à tenir des propos particulièrement outranciers : « ce qui s’est passé à Moirans c’est une émeute, un déchaînement de violences avec un but, faire plier une décision du justice (…) Saccager, détruire, prendre en fait en otage une ville, une population, semer la terreur et le chaos, tous ces faits sont d’une extrême gravité et ils ne peuvent pas rester impunis, faut-il le rappeler ».
Cette démonstration de force, au nom de l’autorité de l’Etat, en direction d’un petit groupe d’hommes jugés comme responsables de violences et de vandalisme, rejaillit injustement et douloureusement sur toute une communauté largement stigmatisée depuis de trop longues années. Un tel discours de la part d’un gouvernement de la République censé respecter les droits des minorités est une erreur grave qui manifeste une inquiétante fragilité et la recherche d’un bouc émissaire permettant de justifier toutes les stigmatisations.
Un bouc émissaire est un individu, un groupe, une organisation, etc…, choisi(e) pour endosser une responsabilité ou une faute pour laquelle il/elle est, totalement ou partiellement, innocent(e). (Wikipédia)
Pour le philosophe René GIRARD qui vient de disparaître, « La théorie du « bouc émissaire » permet de comprendre pourquoi nos sociétés éprouvent le besoin irrépressible – « et inconscient », insiste Girard – de désigner des boucs émissaires, victimes que l’on charge de tous les maux pour résoudre la crise mimétique universelle. Pour apaiser les tensions de la société, le sacrifice du ou des « coupables » est soudain exigé. »
De telles explications savantes pourraient nous inciter à renoncer et admettre que les ‘boucs émissaires‘ seraient hélas nécessaires à l’équilibre de toute société humaine. Pour nous, un tel renoncement n’est pas à l’ordre du jour. Malgré les vents contraires, la gravité des comportements individuels ou collectifs de tel ou tel individu ne saurait justifier que la responsabilité en soit portée par tout le groupe auquel il appartient.
Marseille le 12/11/2015
Alain FOUREST