Les Roms Tsiganes à travers le monde

NEW YORK TIMES 

Editorial

Scapegoating the Roma, Again

By THE EDITORIAL BOARD
Published : October 17, 2013
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The Roma, sometimes called Gypsies, have been part of the European cultural landscape for centuries. They have also suffered greatly from discrimination and prejudice, particularly in times of economic crisis, when they become scapegoats.

That is happening now. Faced with stubbornly high unemployment and strained budgets, some European Union members are finding it easier to stigmatize and expel Roma than to provide them with the education, housing and employment they seek.
In London, a Roma camp was dismantled over the summer and most of its residents sent back to Romania. In the Czech Republic, Roma children are still routinely segregated in schools. In Sweden, revelations that the police kept a secret registry of Roma families touched off a national storm.
The Roma’s impoverished living conditions and inability to get legitimate jobs reinforce stubborn stereotypes of a people forced to live on society’s margins. France’s interior minister, Manuel Valls, has said the lifestyle of Roma from Romania and Bulgaria is so different that most cannot be integrated into French society and must be expelled.
His comments have been criticized by other officials, and Amnesty International has condemned France’s numerous deportations. On Thursday, there were protests in Paris over the deportation of a Roma girl, who was pulled off her school bus. But Mr. Valls’s tough stance has earned him high ratings among many French citizens.
Discrimination against the Roma is a direct violation of the E.U.’s Directive on Racial Equality and its official policy on Roma integration. Viviane Reding, the vice president of the European Commission and the E.U. justice commissioner, has severely upbraided France for violating E.U. rules protecting the free circulation of individuals. Her office warned that France faced E.U. sanctions over its treatment of the Roma.
A few European countries are taking steps to deal constructively with discrimination against the Roma. Recognizing that poverty is a real problem, Berlin has launched an ambitious plan to provide housing, education and medical care for Roma children. In Serbia, the Roma Education Fund is helping to get Roma youth to attend high school, and in Hungary an innovative program is teaching Roma students English.
With important municipal elections in France scheduled for next spring and the far-right National Front party on the rise, the actions of the Socialist government against the Roma look like political pandering. France’s president, François Hollande, needs to confront his interior minister, come out strongly in defense of the Roma’s fundamental rights and join other nations in helping them secure the education and jobs they need and deserve

 

 

Chili : les Tsiganes du bout du monde

6 novembre 2013
By la rédaction de Dépèches Tsiganes

Un soir de septembre au bout du monde. C’est la fête annuelle à Caldera, petit port de pêche de l’Océan pacifique niché près des plus belles plages chiliennes. Sur la jetée, dans le froid glacial du début de printemps austral, déambulent des dizaines de familles attendant le début des festivités.

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Gitanos chilenos
photo Lorenzo Armendáriz, Système National des Créateurs, FONCA-Mexique

Les visages forment une extraordinaire mosaïque évoquant l’histoire du pays : métissage des traits des Indiens aymaras ou mapuches, des colons espagnols ou des immigrés plus récents, allemands, anglais, français, italiens, yougoslaves, péruviens ou colombiens.
Soudain, dans un bruissement, surgissent des femmes aux longues jupes chamarrées, les cheveux couverts d’un foulard coloré, le visage encadré de larges boucles d’oreille.
Leurs cheveux et leurs yeux sont souvent clairs, comme ceux de leurs compagnons et des enfants qui les suivent. Leurs noms finissent en « itch ». Entre eux, ils parlent le romani mêlé à des mots de serbo-croate ; avec les gadjé un espagnol parfois hésitant. Les femmes proposent de lire les lignes de la main à des passants hésitant entre méfiance et fascination.
A quelque 13.000 km des Balkans, au Chili, mince bande de terre de plus de 4.300 km de long, enfermée entre la majestueuse barrière des Andes et le Pacifique, vivent des milliers de tsiganes dont l’incroyable odyssée reste à écrire.
Pratiquement aucune trace écrite de leur histoire n’existe, seules quelques bribes d’information glanées au détour d’une phrase et des témoignages recueillis auprès des intéressés peuvent permettre de reconstituer le puzzle.
Les rares sources font état de la présence au Chili de 7.000 à 10.000 tsiganes sur une population totale de plus de 17 millions de personnes. Une minorité d’entre eux sont des gitans espagnols parlant le Kalo. Certains peuvent être des descendants de colons venus à partir du 16ème siècle et au gré des persécutions des gitans en Espagne, mais la plupart sont issus de familles ayant fui le Franquisme.
La grande majorité des tsiganes du Chili sont des descendants de Roms des Balkans, essentiellement de Serbie, Monténégro, Bosnie, Croatie, Turquie, Grèce et Bulgarie, venus en Amérique latine à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Comme la première vague d’immigration de gadjé serbes et croates au Chili, ils fuyaient alors la pauvreté et les guerres dans les empires ottoman et austro-hongrois. Ils venaient aussi dans un pays ayant récemment conquis son indépendance et dans lequel la variété du climat, la fertilité du sol et les richesses du sous-sol, le salpêtre puis le cuivre, motivaient les migrants.
A la fin du 19ème siècle et dans les premières décennies du 20ème, des tsiganes accompagnent très certainement des gadjé croates et serbes qui s’établissent dans les régions les plus extrêmes : le Grand nord désertique, autour d’Iquique et Antofagasta (exploitation du salpêtre puis du cuivre) et la Terre de feu à l’extrême sud (grands domaines où se pratique l’élevage de mouton).
Des tsiganes se trouvent très certainement parmi les marins qui s’engagent à bord de navires au long cours depuis les Bouches de Kotor (Monténégro) ou la Dalmatie (Croatie) à partir de la fin du 19ème siècle. Ils cherchent souvent à échapper à un enrôlement dans les armées de l’empire austro-hongrois et vont jusqu’à se couper plusieurs doigts pour y échapper selon les légendes familiales de nombreux tsiganes.
Les bateaux traversent alors l’Atlantique jusqu’au Brésil ou en Argentine. Certains tsiganes restent dans l’un ou l’autre de ces pays. D’autres poursuivent leur route, traversant la pampa dans une carriole tirée par des chevaux ou franchissant les sommets les Andes à pied. Les familles tsiganes du Brésil, d’Argentine, du Pérou, de Bolivie et du Chili entretiennent souvent des liens jusqu’à nos jours.
D’après les témoignages, les tsiganes déterminent alors le pays de leur séjour en fonction du climat, des paysages, des opportunités de travail ou encore de la taille des insectes et du degré d’hostilité de la nature rencontrée ! Les paysages et les climats extrêmes du Chili séduisent certains tsiganes et favorisent le nomadisme : au nord, le désert d’Atacama est la région la plus aride du monde et renferme de gigantesques réserves de salpêtre et de cuivre et des oasis permettant de cultiver fruits et légumes. La plupart des tsiganes migrant au Chili à partir de la fin du 19ème, sont des Roms Kalderash (chaudronniers) qui trouvent donc sur place la matière première pour fabriquer des objets en cuivre et les vendre, souvent de porte à porte. Certains tsiganes nomades ou semi-nomades passent l’hiver (juillet et août) dans cette région relativement chaude. Certains rejoignent l’Altiplano, ses salars désolés, ses volcans enneigés culminant à plus de 6.000 mètres et ses lagunes minérales.
Dans l’extrême sud, en Patagonie et en Terre de feu, terre de forêts, de steppes, de fjords et de glaciers, c’est au contraire en été que les tsiganes peuvent séjourner lorsque les pluies, les vents et l’humidité sont un peu moins forts.

Aujourd’hui peu de tsiganes chiliens restent nomades à plein temps. Ils possèdent généralement une maison mais voyagent plusieurs mois chaque année à au moins trois familles et installent de grandes tentes chamarrées à l’extérieur des villes et villages, notamment à Valparaiso (centre) ou Antofagasta (nord).
Un des domaines inexplorés de l’histoire de ces tsiganes du bout du monde consisterait à évaluer si le nomadisme de certains des premiers habitants indiens du Chili pourrait avoir eu une influence sur les tsiganes venus des Balkans. Plusieurs groupes indiens avaient des pratiques d’itinérance, notamment les « nomades de la mer », les Alakalufs du détroit de Magellan et de l’île de Wellington. Les tsiganes se sont en tout cas trouvés au Chili dans une société beaucoup moins sédentaire que les sociétés européennes. Dans ce pays, très souvent les gadjé des classes populaires ou ouvrières construisent de petites maisons de bois ou de tôle, éphémères, ce qui leur permet de changer rapidement de domicile en fonction du travail qu’ils trouvent. Du temps de l’économie du salpêtre comme de nos jours, ceux qui travaillent dans les mines chiliennes sont souvent à des centaines voire des milliers de km de leur famille.
Outre le travail du cuivre et le commerce des objets fabriqués dans ce métal, traditionnellement les tsiganes prospèrent dans la mécanique et le commerce des voitures d’occasion, qui a remplacé celui des chevaux et convient toujours aussi bien à un mode de vie itinérant ou semi-itinérant. Certaines familles ont de petits cirques et certaines femmes disent la bonne aventure. D’autres tsiganes vont de mine en mine avec des contrats temporaires ou sont ouvriers agricoles.
Souvent dans le pays depuis trois ou quatre générations, les tsiganes ont la nationalité chilienne et ne sont pas en reste en ce qui concerne le sentiment nationaliste. « Nosotros somos del pueblo de Chile » (« Nous appartenons au peuple chilien »), répondent souvent les tsiganes quand on les interroge sur leur appartenance nationale. Entre eux les Roms chiliens se désignent sous le nom de « Jorajané ». Ils votent aux élections tout en éprouvant un manque de confiance absolu pour une classe politique qui ne s’est jamais intéressée à eux. Quand on demande à des tsiganes s’ils s’estiment discriminés au Chili, ils répondent souvent par une boutade, « pas plus que les Mapuches », le peuple d’Indiens du sud du pays qui a été l’un des plus réprimés depuis la colonisation jusqu’à nos jours.
La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté au Chili qui est un des pays les plus inégalitaires au monde. Ces inégalités se reflètent aussi chez les tsiganes même si les écarts de trains de vie sont moins grands. Sur le plan religieux, dans le très catholique Chili, les tsiganes ont gardé la religion dominante mais adoptent de plus en plus l’évangélisme tandis que d’autres sont orthodoxes.
La scolarisation des tsiganes reste un problème au Chili, la réticence est de mise chez les autorités et chez certaines familles. Depuis la vague d’ultralibéralisme favorisée par la junte à partir de 1973, l’éducation est également très chère. Cependant, de nombreux jeunes tsiganes parviennent à effectuer une scolarité jusqu’à environ quatorze ans. Rares sont ceux qui suivent des études universitaires.
Comme dans d’autres contrées, les tsiganes sont facilement identifiables à leur nom au Chili : par exemple Batich, Picarezcki ou California. Même si beaucoup de jeunes sont en jeans et écoutent de la cumbia, dans l’ensemble les Roms kalderash en particulier tiennent à maintenir leurs traditions en vie, notamment à travers les fêtes et cérémonies (mariages, choix du prénom de l’enfant et baptême, funérailles…). Les mariages avec des gadjé sont courants et les familles sont nombreuses (entre cinq et six enfants).
Nul ne sait à ce jour comment les tsiganes traversèrent les soubresauts de l’histoire de ce pays lointain. Certains ont dû dès leur arrivée être pris dans les combats de la guerre du Pacifique (1879, entre le Chili, le Pérou et la Bolivie) alors qu’ils avaient traversé les Océans et les neiges éternelles pour fuir la guerre. Certains, engagés dans les mines de salpêtre ont dû vivre les premiers mouvements de protestation des ouvriers et leur répression par la police, comme à Iquique en 1907 (3.000 morts).
Impossible de mesurer l’impact des politiques sociales mises en place bien plus tard, de 1971 à 1973, par le gouvernement socialiste de Salvador Allende, mais on peut supposer qu’elles ont eu un effet positif pour les tsiganes les plus pauvres.
Lorsque la féroce dictature d’Augusto Pinochet s’abat sur le Chili avec l’aide active des Etats-Unis le 11 septembre 1973, il y a 40 ans, les tsiganes, comme les gadjé des classes populaires, ont souffert terriblement et longtemps (17 ans !) même s’ils se tiennent habituellement éloignés de tout engagement politique. Parmi les 300.000 personnes arrêtées, les 35.000 torturées et les plus de 3.000 exécutées, figurent certainement des tsiganes mais là encore cet aspect de l’histoire chilienne reste à explorer.
Isabelle Ligner


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