La Hongrie sur la mauvaise pente

Antisémitisme : une tolérance hongroise bien suspecte

LE MONDE | 21.05.2013 à 14h17
Par Joëlle Stolz Vienne, correspondante

Décevante : c’est ainsi qu’est apparue la prestation du premier ministre hongrois, le nationaliste conservateur Viktor Orban, devant les 500 délégués du Congrès juif mondial (CJM), réunis du 5 au 7 mai à Budapest, qui attendaient de lui une condamnation sans ambiguïté de l’extrême droite, dont le parti Jobbik est le visage institutionnel.
Sans doute lui était-il difficile de rejeter clairement une force d’opposition qui partage avec son parti, le Fidesz, une vision ethnique et religieuse de la nation. Pour M. Orban, l’antisémitisme est « un état d’esprit dans lequel le Mal prend le contrôle des pensées et des actions des gens, danger qui nous menace nous aussi, les chrétiens ». La meilleure réponse à lui apporter, selon le premier ministre, consiste à fortifier « les exemples et la tradition des bons chrétiens ».
Mais les forces du Mal résistent à cette vertueuse offensive. Entré au Parlement avec 16,9 % des suffrages, en avril 2010, le Jobbik a réussi, il y a deux mois, à faire condamner à faire condamner par un tribunal hongrois un historien qui l’avait qualifié de « néonazi ». Un élu du Jobbik a pourtant puisé dans ce registre nauséabond, à l’automne 2012, en proposant d’établir une « liste de juifs » qui occupent des postes publics, risque potentiel pour la « sécurité nationale ».
Outre une vision commune de la nation, la droite et l’extrême droite hongroises partagent aussi une certaine insistance à faire porter aux juifs la responsabilité du communisme : le bolchevique Béla Kun, dirigeant d’une éphémère « république des Conseils », après 1918, tout comme, après 1945, le stalinien Matyas Rakosi, né Rosenfeld, en restent les symboles exécrés. Une haine d’autant plus tenace qu’on impute aussi à « ceux qui ont le coeur étranger » la responsabilité du traité de Trianon, en 1920, qui a privé la Hongrie des deux tiers de son territoire.
Les juifs sont enfin accusés d’avoir bradé les richesses nationales en ouvrant l’économie aux forces du marché. Cette figure du juif confondue avec celle du communiste, travesti à son tour en libéral, mais toujours trahissant la patrie, est un leitmotiv décliné sous une forme allusive dans certains médias proches du Fidesz, et outrageusement raciste sur les sites Internet de la mouvance radicale.
M. Orban a certes exclu toute alliance avec le Jobbik dans un entretien accordé, début mai, au quotidien israélien Yedioth Ahronoth. Mais le 5 mai en Hongrie, dans un discours répercuté par les médias nationaux, il s’est gardé de désigner ce parti comme un adversaire. Il n’a même pas mentionné son nom, préférant énumérer les institutions mémorielles créées par son gouvernement, et surtout évoquer les crimes antisémites bien plus graves commis dans d’autres pays européens, où l’on « tue des écoliers juifs » – allusion aux assassinats perpétrés en France par Mohamed Merah. « Nous ne voulons pas que la Hongrie devienne un pays de cette sorte », a assuré le premier ministre.
Les Roms, des « animaux répugnants »
A Budapest, cet orateur pugnace était à la peine. Il s’est cramponné à son texte. Un vif contraste avec l’allocution que venait de prononcer le président du Congrès juif mondial, le milliardaire américain Ronald Lauder, qui a fustigé la passivité et la complaisance des autorités hongroises. Comment, a déclaré ce dernier, ne pas s’étonner aujourd’hui de voir « glorifier des antisémites tels que Miklos Horthy », qui dirigea la Hongrie de 1920 à 1944, et était « l’équivalent d’Hitler » ?
Le CJM aura au moins réussi à attirer l’attention des médias sur les nombreux incidents à caractère raciste et antisémite en Hongrie, pays dont la communauté juive a été très éprouvée par les persécutions nazies : 400 000 juifs hongrois sont morts en déportation.
Des milliers de leurs compatriotes tziganes ont connu le même sort, et l’une des interventions les plus applaudies au congrès fut celle d’une représentante de la communauté rom.
Or la droite hongroise ne semble pas comprendre que, depuis l’Holocauste, antisémitisme et racisme antitzigane sont liés. Viktor Orban s’est ainsi refusé à critiquer son ami journaliste Zsolt Bayer, membre influent du Fidesz, qui a comparé les Roms à des « animaux lâches, répugnants, nuisibles », appelant à les « éliminer ».
Le Haut Conseil des médias s’est enfin décidé à infliger une amende au quotidien Magyar Hirlap, qui diffuse la prose de M. Bayer. La justice a aussi condamné à 2 et 3 ans de prison ferme, pour « injures antisémites », des extrémistes venus provoquer les délégués au congrès.
Presque au même moment, un tribunal de Miskolc, dans le Nord-Est, distribuait des peines allant jusqu’à 4 ans de prison ferme à l’encontre de neuf jeunes Roms pour « racisme contre des membres de la nation » : ils avaient attaqué des militants d’extrême droite venus patrouiller dans un quartier tzigane, en pleine psychose après une série d’assassinats contre des Roms.
C’est déjà la quatrième fois que des magistrats hongrois font usage de cette nouvelle disposition du code pénal, qui sous-entend que seuls les « Hongrois de souche » forment la véritable nation. De quoi obscurcir davantage le message apaisant que M. Orban espérait envoyer à l’opinion internationale.
stolz@lemonde.fr


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