Par un hasard du calendrier je suis arrivé à Bucarest quelques heures avant que le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, organise une réunion interministérielle sur les Roms qui devait déboucher sur de nouvelles mesures attendues depuis longtemps et surtout plus conformes aux engagements de François Hollande.
J’aime bien Bucarest. On ne se sent pas trop dépaysé dans cette ville surnommée entre les deux guerres le « Petit Paris », tant les français y étaient nombreux.
En attendant les résultats de cette fameuse réunion, je retire quelques lei* au distributeur de billets de la Société Générale et je prends un taxi Renault Dacia pour aller faire quelques courses chez Carrefour. Il faut dire que pour ces enseignes françaises les frontières n’existent plus depuis bien longtemps. Quelques 4000 entreprises françaises sont venues s’implanter ici et bénéficier ainsi d’une main d’œuvre bon marché. Pour elles en effet, il n’y a pas eu de mesures transitoires limitant leur accès au marché roumain lors de l’adhésion de ce pays à UE.
Puis, je rentre à pieds en flânant dans la Strada Franceza dans le quartier Lipscani en pleine rénovation. Les étudiants français ne sont pas encore reprise la Fac, mais on y rencontre parfois des groupes de compatriotes, touristes ou plus fréquemment des hommes d’affaires avisés, attablés aux terrasses des cafés.
On peut aussi y croiser aussi des Roms, avocats, médecins, professeurs ou députés qui se fondent dans la masse. Plus reconnaissables, des marchandes de fleurs et une poignée d’enfants mendiants devant les grands hôtels un peu plus loin. Les plus nombreux, les plus pauvres ne sortent guère de quartiers ghettos tel que Ferentari, abandonnés de tous.
Des roumains partis travailler à l’étranger se retrouvent le temps des vacances dans ces lieux branchés de la capitale. Les plus jeunes souvent sur-diplômés ont aussi choisi l’exil plus par nécessité que par choix, pour des salaires bien supérieurs à ceux qu’ils pourraient espérer ici.* Destinations favorites : l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne.
Car que l’on en soit déçus ou soulagés, mesures transitoires ou pas, la France n’est plus vraiment la destination qui les fait rêver. La culture et la langue française jadis si présentes ont peu à peu laissé la place à la culture anglo-saxonne auprès des jeunes générations. Il n’y a guère que les bucarestois d’un certain âge qui pratiquent encore la langue de Molière avec un plaisir non dissimulé tout empreint de déférence et d’admiration. Ils évoquent volontiers, et avec nostalgie, la période de Ceausescu où, disent-ils, tout le monde avait un travail et un toit. Le passage brutal à un capitalisme débridé a laissé beaucoup de monde au bord du chemin. En premier lieu les Roms bien sûr, dernière roue de la charrette, mais pas seulement.
Alors, beaucoup sont partis tenter leur chance à l’Ouest. Vers cet Occident si longtemps interdit par un rideau de fer qui les maintenait prisonniers dans leurs propre pays. Des Roms aussi ont pris le même chemin en rêvant d’une vie meilleure.
Ces Roms qui depuis, selon mes amis roumains dits « de souche », véhiculent une image exécrable de leur pays à travers toute l’Europe. Dans l’opinion occidentale, la Roumanie n’est plus la patrie de la gracieuse Nadia Comaneci ou du fantasque Ilie Nastase, ni même celui de Dracula, mais elle est devenue le pays des Roms. Cet amalgame leur est insupportable. Une raison de plus pour eux de détester davantage cette minorité pourtant maintenue en esclavage pendant près de cinq siècles et qui encore aujourd’hui constitue, à bien des égards, des citoyens de seconde zone.
Le temps pour moi de rentrer et les premières informations commencent à filtrer sur internet à propos de la réunion interministérielle.
Première déception : les mesures transitoires ne sont pas levées, mais « aménagées ». Autant dire que les citoyens roumains et bulgares, plus de 5 ans après l’adhésion de leurs pays à l’Union Européenne, n’ont toujours pas en France les mêmes droits que les autres européens.
En pratique, comptes tenu des démarches administratives, il y a de fortes chances que ces aménagements n’aient aucun effet sur leur accès à l’emploi. C’est bien regrettable.
Mais ouf ! Je lis un peu plus tard que la porte reste ouverte pour étudier la possibilité d’une levée complète de ces mesures. Quand ? On ne sait pas trop. Il faudra quand même se décider avant la fin 2013, date à laquelle de toute façon, traité d’adhésion oblige, ces mesures transitoires seront définitivement abrogées.
Le plus triste dans l’histoire, c’est que demain on va polémiquer sur les annonces du gouvernement « pour faciliter l’emploi des Roms » alors qu’en réalité on dénie toujours aux roumains et bulgares (et non les Roms en particulier) les droits dont bénéficient déjà en France les ressortissants de 24 pays d’Europe. A pleurer…
Je découvre les autres décisions prises qui me semblent aller plutôt dans le bon sens, à ceci près bien sûr qu’elles se concrétisent rapidement sur le terrain où pour l’instant seules les expulsions continuent dans les mêmes conditions et pour les mêmes résultats que l’on connait.
Un peu plus tard, les premières réactions à ces annonces apparaissent sur les réseaux sociaux. Elles donnent lieu à un déferlement de propos abjects, de railleries, de clichés nauséabonds, de quolibets à l’humour douteux à propos de toute une communauté faîte d’hommes, de femmes, d’enfants. A du mépris et de la haine aussi.
Par chance, la plupart des Roms n’ont guère le temps de twitter, même si les réseaux sociaux, les vrais, ceux de la famille et de la solidarité, sont loin de leur être étrangers et composent leur vie de tous les jours depuis la nuit des temps. Ils n’auront pas besoin de donner d’explications embarrassées à leurs enfants. Une chance pour moi aussi, demain je pourrais cacher ma honte devant eux.
Mais ce soir là, bien plus que ces annonces gouvernementales, j’aurai simplement voulu entendre un discours qui soit tout aussi ferme pour rappeler le respect des lois de la République et des décisions de justice, que pour asséner quelques vérités essentielles, notamment que tout être humain a droit à une place digne, que les réflexes de rejet, d’exclusion vis-à-vis de ces personnes ne sont plus acceptables et que la stigmatisation de toute une population ne sera plus tolérée. Ce message fidèle à nos valeurs, je l’attends toujours.
Jean Paul KOPP
* Le leu roumain, lei au pluriel est l’unité monétaire de la Roumanie
* Le salaire mensuel moyen net était de 322 EUR en juin 2009, le salaire minimum garanti par la loi est de 300 EUR pour les diplômes du supérieur employés dans leur domaine de spécialisation, et 150 EUR pour les personnes de faible niveau d’étude. La retraite moyenne est d’environ 175 EUR