Fichiers ethniques : les doutes subsistent

 Fichiers ethniques : les doutes subsistent
27 décembre 2011

Par la rédaction de Dépèches Tsiganes

www.depechestsiganes.fr

Dans leur rapport d’information déposé le 21 décembre dernier sur les fichiers de police, (http://www.assemblee-nationale.fr/) les députés Delphine Batho (PS) et Jacques Alain Bénisti (UMP) ne se sont pas véritablement accordés au sujet de l’existence de fichiers ethniques. Suites aux procédures judiciaires en cours au sujet des fichiers minorités ethniques non sédentaires, ils ont interrogé les services de police et de gendarmerie concernés. Constatant des pratiques d’échanges d’information pouvant constituer un tel fichier, ils en tirent des conclusions divergentes. La rapporteuse considère que ces fichiers existent bel et bien, alors que le rapporteur est satisfait par les explications obtenues.

Récit détaillé de l’enquête des députés (Extrait du rapport p 62 à 64)
Vos rapporteurs s’étaient d’ailleurs divisés, en mars 2009, sur la question de la collecte des données relatives à l’origine géographique des personnes, entendue comme simple élément de signalement. Votre rapporteur souhaitait que puissent être conservées, au titre des données sensibles susceptibles d’être collectées et conservées dans EDVIRSP, la notion d’« origine géographique » comme élément de signalement des personnes (Recommandation n° 14). À l’inverse, votre rapporteure entendait limiter les données sensibles collectées et conservées dans EDVIRSP au titre du signalement aux seuls « signes physiques particuliers, objectifs et inaltérables » (Recommandation n° 14 bis).
La recommandation de votre rapporteur a été formellement mise en oeuvre. Les données sensibles susceptibles d’être collectées portent sur l’origine géographique, tant pour le fichier PASP que pour le fichier GIPASP. Toutefois, ces données se distinguent, dans l’esprit des rédacteurs de ces décrets, des données relatives au signalement des personnes, qui font l’objet d’un alinéa différent. Votre rapporteur se félicite que la notion d’ « origine géographique » ait été retenue, tant elle semble indispensable à l’élucidation de nombreuses affaires. Pour votre rapporteure, le risque est élevé de voir cette notion utilisée de façon détournée pour évoquer l’origine raciale ou ethnique des personnes.
b) Le maintien d’une typologie ethno-raciale pour les fichiers d’antécédents judiciaires et de signalement
Vos rapporteurs avaient sollicité la suppression de la typologie ethno-raciale qui existait en 2009 pour le STIC-Canonge (93), très subjective et susceptible d’induire des comportements racistes. Il était alors possible de remplacer cette typologie par des éléments objectifs de portrait-robot, comme la couleur des yeux, des cheveux, de la peau (Recommandation n° 22).

Toutefois, c’est la typologie établie par le groupe de contrôle sur les fichiers de police présidé par M. Alain Bauer qui a été retenue pour le STIC-Canonge puis pour le nouveau traitement des antécédents judiciaires (TAJ), qui assure la fusion des fichiers d’antécédents judiciaires de la police et de la gendarmerie. Or, par rapport à la typologie utilisée auparavant, seule la mention de « gitan » est supprimée, ce qui constitue un bien faible changement au regard des enjeux. La recommandation n° 22 n’a donc pas été mise en oeuvre.
c) Le respect de la loi du 6 janvier 1978 au coeur des préoccupations de vos rapporteurs
La question de la collecte et de la conservation des données sensibles est une préoccupation constante de vos rapporteurs. Il importe en effet que le cadre défini par l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 soit parfaitement respecté, afin d’assurer le plein respect des droits et libertés des individus. C’est tout particulièrement le cas des données relatives aux origines raciales ou ethniques qui ont, à l’occasion de la polémique déclenchée par le fichage supposé des populations roms par la gendarmerie nationale, de nouveau attiré l’attention de vos rapporteurs.
En octobre 2010, une vive polémique relative au fichage des populations roms sur des bases ethno-raciales a en effet éclaté, à la suite de la publication par un blog dépendant du journal Le Monde (94) et par Rue89 (95) de documents internes à un office de la gendarmerie, l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI). Plusieurs documents, dont un tableau reproduit ci-après, laissaient à penser qu’un fichier dédié aux « minorités ethniques non sédentarisées » ou MENS était alimenté par la gendarmerie nationale. Une note adressée au parquet faisait état de la consultation du « fichier MENS (OCLDI) sur les liens de famille (généalogie) ». Au-delà de la possible utilisation de données sensibles en dehors du cadre légal défini par la loi « Informatique et Libertés », c’est le fichage de certaines populations sur des bases raciales qui a alors suscité une vive inquiétude.

« ÉTAT NUMÉRIQUE DES INTERPELLATIONS DE ROMS (ÉTRANGERS) PAR LA GENDARMERIE » : EXTRAIT D’UNE PRÉSENTATION DE L’OCLDI PUBLIE PAR RUE89
Source : article du 7 octobre 2010 publié sur le site Rue89.com.

TABLEAU FOURNI PAR LA GENDARMERIE À LA MISSION D’INFORMATION
Afin de vérifier la véracité de ces informations, la CNIL, saisie d’une plainte émanant de plusieurs associations, a effectué plusieurs contrôles à l’office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) et au service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD) de la gendarmerie nationale. Ces contrôles ont donné lieu à un premier rapport préliminaire, rendu public le 14 octobre 2010, puis à un rapport définitif le 25 novembre 2010.
Les conclusions de la CNIL indiquent qu’aucun fichier pérenne et structuré relatif aux gens du voyage ou aux populations roms n’a été trouvé. Cette affirmation a d’ailleurs été réitérée au cours d’une audition organisée par vos rapporteurs le 2 février 2011. De même, aucune base relative à la généalogie de certaines catégories de la population n’est utilisée aujourd’hui par l’OCLDI, d’après les conclusions de la CNIL. Le groupe de contrôle des fichiers de police, présidé par M. Alain Bauer, dans son communiqué du 18 octobre 2010, tire les mêmes conclusions.
Cependant, la CNIL a relevé de nombreuses irrégularités au cours de ses contrôles. Notamment, l’OCLDI utilise une base de données, alimentée par des données issues des fichiers d’antécédents judiciaires STIC et JUDEX, de messages de service opérationnels émanant des deux forces et des procédures traitées par l’office. Cette base de données n’a fait l’objet d’aucune déclaration auprès de la CNIL. Toutefois, la CNIL indique que ladite base de données, qui contient 52 769 fiches de personnes, ne comporte aucune donnée relative à l’origine ethnique ou raciale des personnes. Par ailleurs, un projet de texte réglementaire est en cours d’élaboration par le ministère de l’Intérieur (96).
Par ailleurs, les contrôles de la CNIL ont révélé l’existence d’un fichier, non appréhendé comme tel par les services de gendarmerie, constitué par les messages électroniques envoyés par les brigades territoriales au STRJD. Ces messages, qui indiquent l’identité, la commune de rattachement, le lieu de contrôle, les dates de séjour et l’immatriculation des véhicules de personnes itinérantes, contiennent ponctuellement les mentions « MENS », « gitan », « roms » ou « tzigane ». Pour la CNIL, « la centralisation de données doit s’analyser comme un seul et même traitement ayant pour finalité le recueil de renseignements susceptibles de fonder un travail de rapprochement criminel sur les  » gens du voyage  » ».
En outre, un fichier d’analyse criminelle non déclaré à la CNIL, ANACRIM, est utilisé, dans le cadre d’enquêtes précises, par les forces de gendarmerie de l’OCLDI et du STRJD. Le logiciel Analyst’s NoteBook ®, couramment appelé ANACRIM, est un outil de travail à vocation temporaire. Il permet, sur une enquête particulière, de faire du rapprochement, par exemple de données téléphoniques, et assure ainsi une représentation graphique des éléments de cette enquête (relations entre les personnes, numéros de téléphone et bornes utilisées, véhicules…). Seules les pièces de procédure, sur réquisition d’un magistrat ou d’un officier de police judiciaire en cas de flagrance, alimentent le logiciel. Le caractère temporaire du fichier utilisé ne saurait faire obstacle à ce qu’il soit considéré comme un traitement de données à caractère personnel par la CNIL.
Enfin, les personnels de l’OCLDI et du STRJD utilisent le fichier de suivi des titres de circulation délivrés aux personnes sans domicile ni résidence fixe (SDRF), alors même que ce fichier est strictement administratif et ne peut en aucun cas être utilisé à des fins judiciaires.
Le général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale, entendue par la commission des Lois le 13 octobre 2010, s’est félicité du résultat des contrôles de la CNIL relatif à l’existence d’un fichier MENS. Il a cependant reconnu l’existence d’un fichier de rapprochement, appelé « base OCLDI », qui n’a fait l’objet d’aucune déclaration auprès de la CNIL. De même, il a admis l’existence passée d’un fichier généalogique, Généatic, acquis en 2000 par la cellule interministérielle de lutte contre la délinquance itinérante, qui a précédé l’OCLDI. Ce fichier, tombé en désuétude, a vraisemblablement été détruit en décembre 2007. Il n’avait toutefois pas été porté à la connaissance du groupe de contrôle sur les fichiers de police, ni à celle de vos rapporteurs lors de leur précédente mission. Enfin, le général Jacques Mignaux a justifié l’absence de déclaration du fichier ANACRIM par le caractère temporaire des données intégrées. Toutefois, d’autres fichiers utilisés illégalement par la gendarmerie nationale intègrent des données sur une échelle de temps longue et ne peuvent dès lors pas être justifiés par le caractère ponctuel de leur exploitation.

Afin de se forger, sur cette affaire, une opinion éclairée, vos rapporteurs se sont déplacés auprès des deux services en cause et ont sollicité le ministère de l’Intérieur et la CNIL à plusieurs reprises, pour obtenir la communication de certains documents et informations.
L’OFFICE CENTRAL DE LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE ITINÉRANTE
Héritier de la cellule interministérielle de lutte contre la délinquance itinérante (CILDI), l’office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), créé par le décret n° 2004-611 du 24 juin 2004, est rattaché à la sous-direction de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale. Composé de 47 personnels, parmi lesquels des gendarmes, des policiers, des inspecteurs des impôts et des douanes, l’OCLDI peut être saisi par un magistrat, par les brigades territoriales ou d’office, notamment lorsque plusieurs départements sont impliqués.
L’OCLDI a pour domaine de compétence la lutte « contre la criminalité et la délinquance commises par des malfaiteurs d’habitude qui agissent en équipes structurées et itinérantes en plusieurs points du territoire ». La délinquance itinérante se manifeste par des atteintes aux biens à caractère sériel, commises par des délinquants organisés agissant sur plusieurs zones d’action.
L’OCLDI a pour mission de favoriser la circulation des informations entre les différentes administrations, d’analyser les comportements des auteurs d’infractions et leurs modes opératoires, de coordonner les investigations relatives à ces infractions, d’assister les unités de gendarmerie et les services de police, d’intervenir pour effectuer ou poursuivre des recherches à l’étranger si nécessaire et d’être le point de contact des organismes internationaux et services spécialisés des autres États. L’office participe également à des actions de formation, d’information et de prévention.
Pour mener à bien ses missions, l’OCLDI utilise une base de données, intitulée « base OCLDI », qui permet à ses analystes d’opérer des rapprochements entre diverses sources d’information relatives à des faits délictueux : les demandes adressées par les unités, les procédures judiciaires, les fichiers d’antécédents judiciaires, les messages opérationnels transmis par les unités ou les administrations… Cette base de données, qui contient 52 769 fiches de personnes, fournit également des informations statistiques sur la délinquance itinérante. Non déclarée à la CNIL, cette base de données fait l’objet d’un projet de texte réglementaire actuellement en cours d’élaboration.
Lors de leur déplacement auprès de l’OCLDI, vos rapporteurs ont pu constater de visu l’existence de la base de données incriminée. Il a également été porté à leur connaissance qu’un logiciel de développement appelé WinDev était utilisé par plusieurs services pour mettre au point leurs propres fichiers. Vos rapporteurs ont également pu comparer le tableau à l’origine de la polémique (97) avec celui fourni par la gendarmerie nationale (98). Ils ont constaté que ces tableaux différaient sur certains points, comme leur titre, certaines de leurs données, et leur aspect général. Vos rapporteurs se sont interrogés sur l’interprétation à donner à ces différences, sur la nature exacte des données présentées dans ces tableaux et sur les conclusions à en tirer s’agissant de l’existence ou non d’un fichier relatif aux populations roms.

Par ailleurs, concernant une demande d’informations adressée au ministre de l’Intérieur relative à la transmission du nombre de personnes interpellées, depuis 2000, année après année, par la gendarmerie nationale, selon leur nationalité, vos rapporteurs ne peuvent que déplorer que ces informations ne leur aient pas été communiquées. De telles informations auraient pu permettre de vérifier que les données présentées dans le tableau incriminé ne portaient effectivement pas sur les seules personnes d’origine rom.
S’il est certain qu’aucun fichier ethnique n’existe aujourd’hui à l’OCLDI ou au STRJD, les différents éléments dont il a été fait état plus haut n’ont pas permis à votre rapporteure de confirmer ou d’infirmer l’existence passée d’un tel fichier. Votre rapporteure est persuadée qu’un fichier MENS a existé au travers du fichier généalogique détruit en 2007 et demeure troublée par certains éléments. Elle rappelle qu’une procédure judiciaire est en cours à la suite de la plainte de plusieurs associations. Elle déplore en outre la persistance de mentions ethniques dans certains fichiers de la gendarmerie nationale. Votre rapporteur, quant à lui, a été pleinement convaincu par les explications fournies et les documents présentés.
De façon générale, vos rapporteurs ne doutent pas de la volonté des services de police et de gendarmerie de respecter pleinement le droit des fichiers de police. En tout état de cause, cette affaire met en lumière la difficile utilisation de la notion d’origine géographique à des fins statistiques, qui sème toujours le doute sur l’intention de ses utilisateurs.
Vos rapporteurs se félicitent par ailleurs que des projets de textes réglementaires soient en cours de préparation pour quatre bases de données utilisées par la gendarmerie nationale : les bases criminalistiques départementales, la base de donnée relative aux victimes non identifiées, la base de données relatives aux escroqueries et le fichier des objets d’art volés (99).
Au total, sur les 31 recommandations formulées par vos rapporteurs, 8 ont fait l’objet d’une mise en oeuvre complète et 9 d’une application partielle. 14 recommandations ont été, pour l’instant, laissées de côté.


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