Cher(e) camarade,
Je suis ce qu’on appelle un militant de base, sans mandat, sans fonction, sans responsabilité si ce n’est celle qui incombe à tout homme de dénoncer les injustices qui viennent heurter ses convictions et ses principes.
Ces dernières semaines, la polémique concernant l’accueil de familles Rroms à Marseille m’a particulièrement interpellé (voir mon article précédent). L’attitude des autorités à leur égard est particulièrement révoltante et dénoncée depuis des années par les associations qui oeuvrent sur le terrain.
L’occasion me fût donnée d’informer mes camarades et de leur faire un point sur la situation au cours d’une réunion de section dont je vous livre quelques extraits.
Un militant : – « Ah oui, mais c’est des gens qui roulent tous en Mercedes avec des caravanes avec tout le confort, et en plus ils ne payent même pas d’impôt ! »
Ah ? je pensais avoir précisé qu’il s’agissait de Rroms roumains et pas de touristes allemands ni de forains. Qu’ils ne sont pas nomades, mais seulement forcés à une mobilité que les préjugés et les expulsions à répétition leur imposent. Et que si certains occupent des caravanes brinquebalantes c’est pas par amour du voyage mais faute de mieux.
Quant aux impôts et taxes payés par ceux qu’on appelle communément les « gens du voyages » il faut savoir que lorsque des personnes stationnent sur une aire de passage (lorsqu’elle existe), elles payent un loyer comprenant le prix de l’eau, de l’électricité, du retrait des ordures. De plus, ces personnes sont redevables d’une taxe d’habitation sur les caravanes dont le prix au mètre carré est digne des plus beaux quartiers sans qu’une caravane ne soit pour autant reconnue comme logement et donc n’ouvre droit à aucune aide.
Le militant : – « Oui enfin, c’est des tsiganes, des romanichels !»
Ah ! j’avais pas prévu la leçon de vocabulaire sur les exonymes et les endonymes. Reprenons.
L’endonyme « Roms » ou « Rroms » est le nom courant qu’emploie ce groupe pour se désigner lui-même
Les exonymes sont employés par nous, les « gadjé », pour désigner ce groupe auquel on n’appartient pas :
– Les Manouches (ou Sinti) sont installés en France depuis plusieurs siècles (tu sais…Django Reinhart, Zavata…)
– Les Gitans (le flamenco, Manitas de Plata…ça te parle ?)
– Les Tsiganes, du grec athingano « intouchable ». En allemand « Zigeuner », d’où le « Z » que leur tatouaient les SS dans les camps de concentration.
– Les Romanichels, du romani « Romani çel » (groupes d’hommes)
– Les Roms quand ils sont des Balkans ou d’Europe centrale
– Les Bohémiens car le roi de Bohème leur avait jadis donné un passeport. En provençal on dit « Boumian». Tu sais le santon qu’on va bientôt trouver sur les étals des santonniers aux Allées Léon Gambetta. Et oui camarade ! tu as un Rrom dans ta crèche aux côtés du Ravi et du Petit Jésus. Préviens le berger de garder un œil sur ses brebis !
Le militant : – « Bon alors si c’est des vrais Rroms, ça va ! »
En effet, il ne s’agit pas ici de Rroms frelatés, camarade, je peux te l’assurer.
Une militante : « Oui, mais es-tu déjà allé en Roumanie ? tu sais qu’il se font construire de magnifiques villas là-bas ? »
Ah ? Elle a du voir le reportage sur le roi auto-proclamé des Rroms, Florin Cioaba, qui a fait fortune dans la récupération de métaux.
Oui je connais très bien la Roumanie, camarade. Les rares Rroms aisés que j’ai pu croisé étaient des stars du « Manele » (style de musique en vogue). Les Rroms dans leur immense majorité vivent isolés dans des ghettos et des bidonvilles.
Des images me reviennent de l’accueil chaleureux que j’ai reçu chez des amis dans le quartier Rrom de Ferentari où pas plutôt assis on m’a offert boissons et nourriture en me proposant une « tzuica calde » pour soigner mon rhume.
J’ai une envie soudaine de traiter ma camarade de « vielle c… ». Mais il vaut mieux rester poli et expliquer encore et encore…
Je lui fais simplement remarquer que j’ai du mal à comprendre pour quelles raisons ils viendraient à Marseille survivre dans des squats sordides s’ils possédaient de luxueuses villas en Roumanie.
Les familles Rroms roumaines viennent en France pour fuir la misère et les discriminations dont elles sont victimes dans leur pays. Qu’on se le dise, camarades !
La militante : – « ils ne sont pas pauvres, ils portent des bijoux, des chaînes en or, des bracelets, des boucles d’oreilles… »
Ah ? Oui, pour ceux qui en ont. Des dents en or aussi parfois. Les Rroms furent autrefois esclaves dans certaines principautés roumaines et le restèrent pendant des siècles. Plus précisément un lien féodal, la robie, les attachés à leurs maîtres. Ils pouvaient être vendus mais aussi racheter leur liberté. C’est pour cela que traditionnellement ils portent leur or sur eux, bien visible, sous forme de colliers, bijoux ou dents, afin de montrer leur solvabilité et leur capacité à se racheter. C’est la marque de leur dignité.
Un militant : « Mais ils ne travaillent pas ? »
La France a adopté un régime transitoire concernant les ressortissants Roumains et Bulgares pourtant citoyens européens. Les barrières administratives sont tellement contraignantes qu’il leur est quasiment impossible d’être embauchés par un employeur qui devra en outre s’acquitter d’une taxe !
Ils vivent de la vente d’objets et de métaux trouvés dans nos poubelles, animent les rues en jouant de la musique, vendent des fleurs, lavent les vitres des voitures.
La mendicité leur permet aussi de survivre et elle est bien souvent indispensable. Rappelons quand même qu’elle n’est pas illégale, du moins pas pas tout à fait.
Au bout de trois mois, leur droit de séjour est subordonné à la condition de disposer d’une assurance maladie et de ressources suffisantes ! Pas évident quand on ne peut pas travailler ! Les expulsions ont lieu dans le cadre d’arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF) ou d’obligations de quitter le territoire français (OQTF). Parfois, on n’attend même pas la fin des trois mois.
La militante : – « Oui mais bon, vous savez, on leur donne de l’argent pour partir !»
Oui, c’est vrai. Il faut quand même justifier ces expulsions de citoyens européens sous prétexte qu’ils sont pauvres en les enrobant de bonnes intentions.
C’est l’aide au retour « humanitaire » gérée par l’OFII. Malheureusement, dans la plupart des cas, les « demandes » d’aide au retour ne résultent pas d’un réel projet de retour. Elles sont signées sous la contrainte, des pressions de toutes sortes, des menaces de prison, en l’absence d’interprète, etc…
De plus elles ne sont en réalité d’aucune utilité et peuvent même avoir un effet pervers.
Les partenaires avec qui l’OFII a signé des conventions en Roumanie pour leur confier l’accompagnement social et l’aide au montage de projets ne disposent d’aucun moyen sur place.
Enfin, tout ce qui peut être mis en œuvre pour empêcher ces gens de revenir en France est complètement illégal.
Une autre militante : – « en tous cas, moi je ne supporte pas ces femmes qui mendient avec des enfants, ça c’est inadmissible ! »
Ah ! nous y voilà ! Là, j’hésite… Que répondre ?
La halte garderie du squat était fermée ? La nounou était malade ?
Certes avoir un petit enfant à ses côtés favorise la manche, mais est-ce vraiment un choix ?
Culturellement pour les Rroms, le lien entre la mère et l’enfant reste étroit : les enfants en Roumanie ne vont à l’école qu’à partir de 7 ans. Par conséquent se séparer de son enfant dès son plus jeune âge peut être vécu comme une forme d’abandon.
Il y a aussi la peur d’être arrêté par la police et d’être expulsé de façon séparé de son enfant.
Mais bon, le punk avec son chien passe encore mais la mère Rrom et son enfant sur la Canebière ça fait tâche…
C’est bien pour toutes ces raisons que nous, socialistes, nous devons être capables de proposer des solutions en respectant les droits de chacun et en s’informant auprès des associations qui oeuvrent auprès de cette population. Il est grand temps d’agir.
Cher(e) camarade, si toi aussi tu veux faire ton coming-rroms dans ta section, voilà ce qui t’attends.
Si tu as besoin d’aide pour effectuer cette démarche courageuse mais néanmoins nécessaire, tu peux compter sur moi !
Jean-Paul Kopp, militant socialiste de base à Marseille.