Le 18 octobre 2009
{{{JORF n°0241 du 17 octobre 2009
Texte n°147}}}
{{ {{{Délibération n° 2009-316 du 14 septembre 2009}}} }}
NOR: ADEX0923797X
Le collège,
Vu la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe ;
Vu la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ;
Vu les délibérations n° 2007-372 du 17 décembre 2007 et n° 2009-143 du 6 avril 2009 ;
Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ;
Vu le décret n° 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ;
Sur proposition du président,
Décide :
{{{ {{ {{{Le collège de la HALDE, suite aux recommandations relatives à la situation et au statut des gens du voyage adoptées par délibération du 17 décembre 2007, réitérées par délibération n° 2009-143 du 6 avril 2009, et en l’absence de suites favorables données à ces recommandations, adopte le rapport spécial annexé ci-après.
La présente délibération ainsi que le rapport spécial qui y est annexé seront publiés au Journal officiel de la République française en application de l’article 11 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004.}}} }} }}}
Fait à Paris, le 14 septembre 2009.
Annexe
{{ {{{RAPPORT SPÉCIAL-RÉGIME APPLICABLE AUX GENS DU VOYAGE ET DISCRIMINATIONS}}} }}
Dès 1969, le Conseil de l’Europe a souligné l’importance qu’il accordait à la protection des gens du voyage, cette « minorité dépourvue de territoire ». La commission des droits de l’homme des Nations unies a également relevé en août 1977 que « les gitans sont la minorité la plus mal traitée dans divers pays d’Europe ».
Dix millions de Roms vivent dans les pays de l’Union européenne. En janvier 2008, le Parlement européen a adopté une résolution relevant qu’aujourd’hui encore ils sont la cible « d’attaques racistes, de discours de haine, d’agressions physiques, d’expulsions illégales et de harcèlements policiers ». En France, les gens du voyage représentent environ 400 000 personnes, très majoritairement de nationalité française.
Lors du premier sommet européen sur les Roms organisé le 16 septembre 2008 à Bruxelles, le Gouvernement français a souligné que la situation des Roms, et les discriminations dont ils sont victimes dans l’éducation, l’emploi, la santé, le logement, était une priorité de la présidence française.
Les travaux menés par le comité consultatif de la HALDE ont souligné que les gens du voyage sont en effet victimes de nombreuses discriminations en France, que ce soit du fait de la réglementation spécifique dont ils sont l’objet, ou en raison de comportements individuels.
Le collège de la haute autorité y a donné suite en adoptant le 17 décembre 2007 la délibération n° 2007-372 qui a été notifiée au Premier ministre et aux ministres concernés. Des courriers de relance ont été adressés en juillet et décembre 2008.
Finalement, par courrier du 2 février 2009, le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et le ministre du logement ont adressé une réponse commune à la HALDE.
Aucun engagement concret n’étant pris, la HALDE a de nouveau recommandé que les réformes nécessaires soient engagées dans sa délibération n° 2009-143 du 6 avril 2009. Elle a demandé à être informée dans un délai de trois mois des suites données, d’une part, aux conditions discriminatoires d’accès au droit de vote des gens du voyage, et d’autre part, au régime des titres de circulation.
Le collège a expressément précisé dans la délibération précitée, laquelle reprend les recommandations déjà formulées en décembre 2007, qu’en l’absence de réponse satisfaisante il rendrait sa position publique par la voie d’un rapport spécial au Journal officiel de la République française.
{{Titres de circulation}}
La loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe règle les conditions de déplacement des personnes itinérantes.
Pour se déplacer sur le territoire national, les gens du voyage français doivent être munis d’un titre de circulation. Il existe plusieurs types de titres, délivrés en fonction de la stabilité des ressources :
Le carnet de circulation doit être visé tous les trois mois par la police ou la gendarmerie. La circulation sans carnet est punie d’une peine de prison allant de trois mois à un an ;
Le livret de circulation doit être visé tous les ans. L’absence de livret est une contravention de 5e classe punie par une amende de 1 500 €.
Ce dispositif justifie des contrôles permanents puisque le fait de ne pas détenir de document de circulation, de ne pas l’avoir fait viser, comme le fait de ne pas être en capacité de le présenter à toute réquisition, est en soi une infraction pénale.
Ce dispositif instaure une différence de traitement au détriment de certains citoyens français en violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui interdit toute discrimination dans la jouissance du droit de chacun à circuler librement, lequel est garanti en ces termes par l’article 2 du protocole n° 4 : « quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence ».
La réglementation applicable aux carnets de circulation apparaît comme mettant en œuvre des moyens disproportionnés de contrôle, que ce soit au regard de leur fréquence ou de la gravité des peines encourues.
Dans sa réponse du 2 février 2009, le Gouvernement indique que « les documents de circulation seront maintenus, mais ce maintien est assorti d’un réexamen des conditions dans lesquelles ces documents sont visés ». Aucune précision de délai n’a été donnée à la HALDE quant au réexamen des modalités de contrôle des documents de circulation.
A nouveau, la HALDE recommande que les conditions de délivrance, de suivi et de contrôle du carnet de circulation soient redéfinies afin d’éliminer l’obligation de le faire viser tous les trois mois, de limiter les contrôles et que les peines encourues pour défaut de carnet ne soient plus des peines de prison mais uniquement des amendes contraventionnelles.
{{Accès au droit de vote}}
Les gens du voyage vivant en France sont très majoritairement de nationalité française. En tant que citoyens, il est inconcevable de les priver, du seul fait de leurs origines ou de leur mode de vie, d’un droit aussi important que le droit de vote, lequel constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique.
Pourtant, l’article 10 de la loi du 3 janvier 1969 qui définit les conditions d’inscription des gens du voyage sur les listes électorales prévoit qu’elle n’est possible qu’après trois ans de rattachement ininterrompu à la même commune.
Il ne s’agit pas de contester la nécessité pour les gens du voyage d’être rattachés à une commune pendant un délai minimum pour pouvoir y exercer leur droit de vote, cette exigence trouvant sa justification dans la nécessité de garantir la bonne tenue des listes électorales et le déroulement normal des élections.
La HALDE observe que, conformément à l’article L. 15-1 du code électoral, les personnes dites « sans domicile fixe » sont inscrites sur la liste électorale de la commune de l’organisme d’accueil où ils sont administrativement domiciliés depuis six mois seulement.
Dans la mesure où il n’est ni établi, ni même allégué, que les contraintes liées à la bonne tenue des listes électorales soient de nature différente pour les personnes sans domicile fixe et les gens du voyage, aucun motif valable ne justifie l’application d’un régime beaucoup plus contraignant pour ces derniers.
En conséquence, le traitement réservé par la loi à cette catégorie de citoyens français, identifiés par leur appartenance à la communauté des gens du voyage, entrave directement et de manière excessive leur accès au droit de vote. Il caractérise une violation des articles 3 de la Constitution de la Ve République et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel dispose : « la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. »
Ce dispositif est également contraire aux engagements internationaux de la France énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme, dans ses articles 14 (non-discrimination) et 3 de son premier protocole additionnel (droit à des élections libres), comme par le pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit à « tout citoyen le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables […] de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs » (article 25).
Cette discrimination directe à l’encontre des gens du voyage dans l’accès à l’un des droits les plus élémentaires du citoyen ne repose sur aucune justification objective, ce dispositif doit être réformé.
En février 2009, dans sa réponse adressée à la HALDE, le Gouvernement reconnaissait que la loi de 1969 était défavorable pour les gens du voyage, et ajoutait qu’« une réflexion peut être engagée sur l’harmonisation des différents dispositifs ».
La HALDE constate l’absence de délai fixé pour l’aboutissement de cette réflexion et l’absence d’engagement de mettre un terme à la discrimination que sa délibération du 17 décembre 2007 mettait en lumière.
La HALDE recommande de réformer l’article 10 de la loi de 1969 afin de garantir un accès non discriminatoire des gens du voyage au droit de vote.
Le président,
L. Schweitzer