Le débat sur les statistiques ethniques

{{ {{{Des statistiques pour prévenir les inégalités, non pour ficher,}}} }}
par Laetitia Van Eeckhout

Il a fallu que le commissaire à la diversité, Yazid Sabeg, fasse part dans les colonnes du Monde, avant de présenter prochainement un rapport sur ce thème à Nicolas Sarkozy, de sa proposition de doter la France d’un cadre « visant à rendre licite la mesure de la diversité », pour que la polémique sur les statistiques dites « ethniques » reprenne de plus belle. S’érigeant en garants du modèle républicain, certains n’ont pas manqué d’agiter le chiffon rouge d’une « assignation ethno-raciale des individus », du « fichage ethnique », d’un « étiquetage communautaire », voire d’une « fragmentation de la société » en une « mosaïque de communautés », et même d’un retour à « l’étoile jaune ».
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A ces épouvantails, s’est ajouté, le 15 mars, la une de l’édition dominicale du Parisien-Aujourd’hui en France : « 55 % des Français contre les statistiques ethniques ». Précisons que ces 55 % des Français jugeaient non efficace la mise en place des statistiques ethniques « dans le cadre du recensement général de la population »…

A force de jeter l’anathème, on empêche la réflexion sur le véritable enjeu : mettre en lumière les mécanismes discriminatoires et mesurer l’ampleur des inégalités de traitement pour mieux les combattre. Doit-on – et peut-on ? – aujourd’hui, au nom de l’idéal républicain, s’interdire de réfléchir aux outils qui permettraient d’y parvenir, alors que tout le monde s’accorde à reconnaître que l’égalité n’est pas réelle, que le modèle républicain n’a pas tenu toutes ses promesses ?

Il existe déjà des enquêtes statistiques basées sur l’origine, à partir des patronymes, des lieux de naissance ou de l’origine des parents. Ces enquêtes – qui attribuent une appartenance communautaire à un nom ou un prénom… – sont utiles. Mais elles ne permettent pas d’appréhender toute la réalité des discriminations : elles ne suffisent plus à identifier le caractère ethno-racial de nombre d’entre elles. Les victimes de ces discriminations sont souvent des Français nés en France, et qui peuvent avoir un prénom occidental. Pour les sortir de l’invisibilité statistique, il faut réfléchir à d’autres données.

Il ne saurait être question d’objectiviser la notion de « race ». Mais pourquoi s’interdire de travailler sur le ressenti : de quelle(s) origine(s), de quelle couleur de peau vous diriez-vous ? Comment pensez-vous que les gens vous perçoivent, vous voient ? Pourquoi s’interdire de poser de telles questions, dès lors que l’on fonde, de façon intangible, ce type d’études sur le volontariat, l’anonymat et l’autodéclaration ? S’il a écarté toute collecte de données objectives raciales, le Conseil constitutionnel lui-même ne s’oppose pas au traitement de données subjectives comme celles fondées sur le « ressenti d’appartenance ». En témoigne le commentaire officiel de sa décision du 15 novembre 2007 tel qu’il a été publié dans les Cahiers du Conseil constitutionnel.

L’objectif de ce type d’études est d’éclairer sur les mécanismes discriminatoires, aujourd’hui pour partie occultés faute d’outils statistiques adaptés. La finalité est là. Et non dans le comptage, le classement des individus dans des catégories ethno-raciales ou encore leur fichage. Il ne s’agit pas d’introduire des catégories ethniques dans le recensement de la population mais de comprendre les mécanismes discriminatoires pour mieux les combattre. On pourra ainsi savoir ce qui relève des discriminations sociales et raciales, puisque l’on pourra croiser données ethno-raciales – couleur de peau, origine ethnique – avec d’autres données sociales, territoriales… La définition d’un cadre très strict, allant jusqu’au cryptage, aujourd’hui possible, de certaines données, devrait permettre d’éviter les dérives.

Tout cela conduit à la discrimination positive et à une politique de quotas, accusent les détracteurs. Faux, pourvu que l’on se situe bien sur le terrain de la lutte contre les discriminations et qu’on s’en tienne à l’objectif de l’égalité effective. Comme l’écrivaient une trentaine de chercheurs dans Le Monde, en mars 2007, déjà dans la perspective d’apaiser ce débat : « Les choix politiques ne découlent pas des choix de méthodes. Mais à l’inverse, l’absence de certains outils statistiques limite la mise en oeuvre de politiques. »

Si certains souhaitent clore le débat, un consensus semble peu à peu se dessiner sur la nécessité de définir des outils appropriés. « C’est une question qu’il faut prendre à bras le corps, en regarder toutes les facettes, ne pas se draper uniquement dans les principes », reconnaît aujourd’hui Gérard Larcher, président du Sénat, qui ne cache pas avoir été « tout d’abord assez réticent ». Le chemin parcouru par certains députés socialistes, très partagés au départ, est lui aussi significatif.

« Notre démarche n’est pas d’enfermer certains citoyens dans une identité particulière, de spéculer sur leur victimisation, mais de permettre que ces identités diverses qui façonnent notre pays le rendent plus fort », insistait même Daniel Goldberg, député (PS) de Seine-Saint-Denis, le 19 février, lors de la discussion de la proposition de loi socialiste instituant un cadre à des enquêtes pouvant comporter des questions sur le « ressenti d’appartenance ». Ce parlementaire de sensibilité fabiusienne n’a pourtant jamais caché son profond attachement aux valeurs républicaines.

Courriel : lve@lemonde.fr.

Laetitia Van Eeckhout (Service Europe-France)
Article paru dans l’édition du 25.03.09.


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