{{ {{{Les Roms de Marseille en butte à une vague d’hostilité
}}} }}
LE MONDE | 12.08.08
Sur le pas de la porte de la maison qu’ils squattent dans le 3e arrondissement de Marseille, Mariana et son époux montrent l’arrière embouti de leur Opel break. Une bâche en plastique fait office de pare brise. La jeune femme raconte : « Ils lui ont foncé dessus et ont jeté des bouteilles en verre sur la voiture, en criant Romani ! Romani ! »
Dans la cour de cette friche industrielle, des cabanes qui abritaient des Roms ont récemment été la cible de bouteilles remplies d’essence et lancées avec un chiffon enflammé. Mariana parle aussi de coups donnés avec des battes de base-ball. La décision est arrêtée : cette jeune Roumaine de 25 ans et sa famille vont retourner à Bucarest durant deux semaines, dans l’espoir « que ça se calme ». Mais le retour se fera : « On est venu à Marseille car c’est mieux ici. » Dans les squats roms, dans les écoles où les enfants ont été scolarisés cet hiver, les témoignages font état d’une hostilité grandissante et de violences à l’égard de la dernière communauté s’étant implantée à Marseille, principalement dans les quartiers les plus pauvres. Ils seraient mille à mille cinq cents Tziganes de nationalité roumaine ou bulgare à vivre dans les Bouches-du-Rhône depuis l’élargissement de l’Union européenne, en 2007. Logés dans des conditions insalubres, sans eau, parfois sans électricité, les Roms travaillent principalement au ramassage de la ferraille qu’ils transportent dans des poussettes d’enfants et dans des camionnettes, leurs outils de travail.
Des camionnettes blanches qui ont alimenté, en juin, une rumeur largement relayée par mails, SMS ou MMS sur les portables des adolescents marseillais, principalement ceux des cités des quartiers Nord de Marseille. Il se disait que les Roumains enlevaient des enfants en vue d’un trafic d’organes.
Face à la propagation de la rumeur, le préfet de police et les autorités judiciaires n’ont cessé de souligner son caractère infondé. Mais le samedi 21 juin, trois Roms ont été violemment pris à partie, à la cité de La Bricarde (15e arrondissement). Leur voiture a été brûlée. Ils étaient venus, ont-ils ensuite expliqué, pour fouiller les poubelles. Des habitants les ont accusés d’avoir abordé un garçonnet. Très vite, une soixantaine de personnes, appelées en renfort de deux cités voisines, ont voulu en découdre avec ces trois Roumains réfugiés dans le local fréquenté par les personnes âgées de la cité, ainsi que l’équipage de Police-Secours appelé sur les lieux.
Leur « exfiltration » a nécessité d’importants renforts et s’est déroulée sous un jet nourri de projectiles, nécessitant l’usage de Flash-Ball et de bombes lacrymogènes. « Ces violences urbaines ont été d’une telle intensité que nous tenons à en identifier les auteurs », assure-t-on au parquet. Dans cette cité construite en balcon au-dessus du port de Marseille, le sentiment anti-Rom a gagné les plus jeunes et s’exprime avec une grande dureté. « C’est des pouilleux, ils prennent l’eau dans les égouts, paient pas de loyer », lâche ainsi Kader, adossé à un mur du local réservé aux jeunes de la cité. « Ils attendent les trucs périmés à ED et se jettent dessus. Quand ils mangent, ils doivent bien manger, avec les dents en or qu’ils ont. » Les copains acquiescent. La rumeur de juin a la peau dure : « Même si on est marseillais et que la sardine bouche le port, y a toujours un fond de vérité. »
La Bricarde – 700 logements, 3 500 habitants – est une cité bien tenue, animée par quelques commerces au pied des immeubles, où les jeunes dont les parents ou grands-parents sont issus de l’immigration connaissent un chômage endémique, voisin de 50 %. Défenseur de l’idée d’un « mieux vivre ensemble », Kamel Dachar, directeur de la régie de quartier, déplore « un fort communautarisme » : « A La Bricarde, les deux grands groupes, les Arabes et les Gitans, se respectent, se côtoient mais ne se mélangent pas. C’est pathétique ».
Mustapha, une figure de La Bricarde, assure que la cité est toujours « aux aguets » depuis l’explosion de violence du 21 juin. « Les Gitans, on les connaît. Ils nous demandent s’ils peuvent prendre les encombrants, les carcasses de voitures. Les Roumains, eux, ne nous demandent rien, ils viennent en sous-marins. Ils ne parlent pas français, on a l’impression qu’ils ont quelque chose à se reprocher. »
Cette agression a terrorisé les familles roms. « J’ai dû aller voir pourquoi les douze enfants inscrits à l’école en février ne venaient subitement plus », explique une institutrice d’un établissement proche des squats du 3e arrondissement. « Ils m’ont parlé de cocktails Molotov jetés sur leurs habitations, des enfants insultés. C’est dommage car ces élèves ont beaucoup de volonté, sont très présents, avides d’apprendre et ont toutes les chances de progresser. Ça a tout gâché. » Son collègue Alain Mauro, instituteur en classe d’initiation pour élèves non francophones à l’école du Parc Bellevue, s’était aussi inquiété de l’absence des enfants en fin d’année scolaire. « Les parents nous ont dit qu’ils avaient peur. » Les « maraudes » de la mission Roms de Médecins du monde, ces tournées destinées à apporter des soins et des conseils administratifs, confirment l’inquiétude.
Des squats, des campements semblent avoir été abandonnés à la hâte. Dans une maison squattée de la rue de Lyon, le Dr Philippe Rodier est accueilli par une odeur de pain chaud et les piaillements d’enfants dans une piscine improvisée. L’eau est amenée chaque jour par les femmes dans une vingtaine de grands bidons. En mai, Donitza et sa famille avaient été délogées d’un squat où vivaient quelque 70 Roms. Leur offre de payer un loyer, de régler l’eau et l’électricité n’avait alors pas été acceptée. Le Dr Rodier examine une échographie, donne deux boîtes d’antibiotiques pour un abcès dentaire. « Ces gens sont d’une très grande dignité et ont une capacité extraordinaire d’adaptation, témoigne le médecin. Je dis aux gens des quartiers : Allez les voir chez eux ! Est-ce la nouvelle communauté désignée à la vindicte ? Peut-être… » Durant la campagne des municipales, les attaques des riverains de squats avaient été d’une rare virulence. « J’ai travaillé longtemps dans les quartiers Nord de Marseille et j’ai entendu des choses terribles sur les Arabes. Là, contre les Roms, c’était de la haine. »
Alain Fourest, militant de Rencontres tziganes, analyse ce sentiment comme la répétition du phénomène « du dernier arrivé qui ferme la porte aux nouveaux arrivants et désigne le bouc émissaire qui prend le pain de la bouche ». Sénateur communiste, Robert Bret déplore « ces réflexes de peur et de rejet » : « Dans ces quartiers très fragilisés, les gens vivent la présence des Roms comme un risque de déstabilisation. » L’élu appelle à une réponse des pouvoirs publics et « ne souhaite pas que ça se passe comme en Italie, tant au niveau de la réponse de l’Etat que du racisme et de la violence ». Le phénomène n’est pas nouveau : Italiens en 1920-1930, Maghrébins au milieu du XXe siècle, Marseille a déjà connu cette forme violente d’accueil de nouveaux arrivants.
Luc Leroux
Article paru dans l’édition du 13.08.08