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{{ {{{Les Roms, indésirables en France et en Europe}}} }}
LE MONDE | 31.07.08 | 13h19 •

Indésirables, en France comme ailleurs en Europe, les Roms, ballottés d’un bidonville à l’autre, font l’objet d’évacuations régulières. Ce qui permet de ficher progressivement l’ensemble de la communauté. A Lille, 70 personnes ont été expulsées de leur terrain mardi 29 juillet ; 55 autres ont été renvoyées de Saint-Etienne pour la Roumanie le 17 juillet. Et d’ici à la fin août, quelque 633 Roms seront évacués du plus grand camp de France situé à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) sur un terrain où doivent être construits des logements sociaux.

Au Portugal, une juge qualifie les Tziganes de « perfides »

Le jugement a provoqué un tollé au Portugal. Dans une décision rendue par le tribunal de Felgueiras, révélée par l’agence Lusa mercredi 30 juillet, cinq Tziganes condamnés à des peines de prison ferme pour avoir agressé des gendarmes ont été qualifiés par le juge de « personnes mal vues socialement, marginales, perfides, totalement dépendantes de l’Etat qu’elles paient en désobéissant et en attentant à l’intégrité physique et morale de ses agents ». La juge a précisé que les conditions de logement des cinq hommes étaient « mauvaises, non en raison de l’espace physique en soi, mais en raison du style de vie et de leur ethnie (peu d’hygiène) ». Les Tziganes sont 50 000 au Portugal. « Nous en avons marre des discriminations », a réagi la Fédération des associations tziganes du pays.

Les Roms en Europe

La plus grande minorité d’Europe. Les Roms seraient 7 millions en Europe, originaires principalement de Roumanie et des Balkans. Leur nombre est difficile à établir du fait qu’il n’existe que très peu de statistiques ethniques. Le Conseil de l’Europe établit des données qui regroupent Roms et gens du voyage. La Roumanie compterait 1,8 million de Roms et la Bulgarie 650 000. En France, 400 000 personnes sont recensées comme « gens du voyage et roms ». Parmi elles les Roms sont très minoritaires.

Les destinations privilégiées des Roms hors de leur pays d’origine sont l’Italie, avec 200 000 Roms, et l’Espagne, avec 700 000 personnes. L’Italie devrait fournir début août à la Commission européenne un rapport sur le recensement en cours dans les camps de Milan, Rome et Naples.

Mercredi 30 juillet était le dernier jour offert aux Roms de Saint-Ouen pour postuler à projet de réinsertion. L’Etat et les collectivités locales vont créer sur la commune un « village d’insertion ». Si plus de 300 se sont portés candidats, pas plus d’une centaine d’entre eux pourront s’y installer. Les services sociaux expliquent qu’un village d’insertion ne peut accueillir plus d’une vingtaine de familles. Les autres devront partir. Le sous-préfet de l’arrondissement de Saint-Denis, Olivier Dubaut, prévient : « Nous ne tolérerons pas de camps sauvages. »

Dans des projets similaires, seules 21 familles ont été sélectionnées à Saint-Denis, et 18 à Aubervilliers. « La volonté politique manque. Seul un soutien financier européen permettrait de réaliser des projets de plus grande ampleur » estime Marie-Louise Mouket, responsable de Pact Arim 93. Cette association d’insertion par le logement a été chargée par la mairie de Saint-Ouen d’effectuer une enquête sociale. Elle permettra au préfet de juger, sur des critères laissés à sa discrétion, les familles qui ont « la volonté de s’intégrer dans la société française », sur le plan professionnel, scolaire et linguistique. « Ceux qui ne répondent pas aux critères relèveront d’une obligation à quitter le territoire français », assure M. Dubaut.

Au final, 400 Roms de Saint-Ouen sont menacés d’expulsion, et 94 se sont inscrits auprès des services de l’immigration (Anaem) pour repartir volontairement en Roumanie. Selon le ministère de l’immigration, le montant de l’aide au retour est maintenu à 300 euros par adulte. Mais à Saint-Etienne et à Saint-Ouen, les Roms affirment qu’on ne leur a promis que 150 euros.

PRÉLÈVEMENT DE SALIVE

Quoi qu’il en soit, la plupart ne veulent pas partir en Roumanie. « On veut rester en France. Après la fermeture du camp, on ira ailleurs, on ne veut pas retourner en Roumanie, jamais. Ce qu’on veut ? Avoir le droit de travailler, ici », lance Sorin Boti, 34 ans, carreleur, vivant au camp de Saint-Ouen. Repartis volontairement ou non, rien n’empêche ceux qui le souhaitent de reprendre un car pour la France.

Depuis qu’ils sont entrés dans l’Union européenne le 1er janvier 2007, Roumains et Bulgares demeurent soumis à des dispositions particulières en matière de travail. Mais ils sont des citoyens européens à part entière, bénéficiant de la liberté de circulation, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat le 19 mai. Comme les autres européens, ils doivent au-delà de trois mois de séjour, « soit disposer d’un emploi, soit posséder des moyens suffisants de subsistance », selon la circulaire du 22 décembre 2006, spécialement publiée par le ministère de l’intérieur, à la veille de leur entrée dans l’Union. Faute de remplir ces conditions de séjour, Roumains et Bulgares sont susceptibles d’être expulsés. Sur les 23 186 étrangers expulsés en 2007, 2 271 Roumains et 810 Bulgares ont été renvoyés dans leur pays, de gré ou de force.

Les milieux associatifs dénoncent régulièrement l’absurdité de ces expulsions, car les Roms reviennent en France. Sur les 55 personnes parties de Saint-Etienne le 17 juillet, deux sont déjà revenues en deux semaines, affirme Georges Gunther, responsable du Réseau de Solidarité avec les Roms. Sur cette agglomération, la communauté rom reste stable depuis cinq ans, avec 250 à 300 personnes.

Pour éviter qu’ils ne reviennent en France et ne bénéficient plusieurs fois de l’aide au retour humanitaire, la loi du 20 novembre 2007 prévoit un fichage biométrique des bénéficiaires d’une aide au retour. Le décret d’application est encore en cours de préparation.

Mais dans les faits, le recensement a commencé. A Saint-Ouen, l’enquête sociale – à laquelle les Roms ont massivement participé, constitue en effet un fichier précis qui sera remis à la préfecture : identité, date d’entrée en France, profil professionnel, médical et scolaire. Un recensement complété par les dossiers de l’Anaem qui travaille en étroite collaboration avec la police. A Saint-Etienne, la mairie indique ouvertement que « l’objectif des contrôles, c’est d’enregistrer dans un fichier les identités pour délivrer des OQTF dans trois mois, avant les évacuations. »

A Alès (Gard), des Roms bénéficiaires de l’aide au retour ont été convoqués par la police pour prise d’empreintes digitales, photo, et prélèvement de leur salive. « Une affaire de proxénétisme impliquait des mineurs et c’est dans ce cadre que l’autorité judiciaire a procédé à ces relevés », précise un conseiller de M. Hortefeux. Et celui-ci d’insister : le fichage biométrique ne s’appliquera pas aux seuls Roms. Il n’en reste pas moins qu’en France, comme en Italie, le fichage des Roms a commencé.
Anne Rodier et Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l’édition du 01.08.08.


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