Les Roms, gens du voyage : émergence d’un peuple

{{ {{{Les Roms – Gens du voyage:

Emergence d’un peuple en Europe}}} }}

René Bernard

{René Bernard, jésuite, est conseiller théologique du Comité international tzigane. Cet article a été publié dans la revue Compagnie, n°418, mai 2008.
Article écrit le 28 mai 2008}

Les connaissez-vous ? Les journaux en parlent, décrivant les conditions de vie souvent déplorables des familles ou leur expulsion vers leur pays d’origine. Elles se repèrent au passage dans nos villes en se regroupant dans des quartiers ciblés, sur des terrains incultes, voire dans des cités. Ce sont des Roms-Gens du voyage.

Ces nouveaux venus se logent souvent dans des caravanes brinquebalantes, ils apparaissent comme des itinérants, alors qu’ils proviennent des pays de l’Europe Centrale et du Sud parmi les plus pauvres. Ils revendiquent le titre de citoyens des pays de l’Union Européenne où leurs ancêtres ont été ancrés par violence et interdiction du voyage. Ainsi sont-ils perçus faussement comme des voyageurs, cousins germains des voyageurs français qui ont quelque mal à les reconnaître puisque la pauvreté et la misère dont ils cherchent à s’échapper eux-mêmes s’étale à nouveau par leur présence. En réalité, ils sont sédentaires ! Sédentarisés par violence.

{{Un peuple rejeté}}

« Ce peuple », visité et reconnu dans tous les pays de l’Union Européenne par Monsieur Gil Roblès, commissaire aux Droits de l’homme [1], – lors de son exposé au Parlement Européen le 15 février 2006, fruit d’une longue et minutieuse enquête – est soumis depuis des siècles à un rejet systématique, à un racisme latent qui explose ici et là, à une législation soupçonneuse, au non-respect des droits de l’homme, à des décrets contradictoires, à l’existence d’îlots de misère qui sont l’apanage des pays de la planète les plus gangrenés par la misère ! Spectacle désolant dénoncé par ce rapport circonstancié, à lire au plus tôt si vous ne le connaissez pas.

Ce peuple ne s’adosse à aucun pays d’origine, ne revendique aucun territoire, ni d’être apprécié comme une nation. Toutes ces familles constituent un peuple transnational aux vastes réseaux, enclavé dans des sociétés qui les surveillent ou les rejettent. Le nomadisme originaire en provenance de l’Inde n’a jamais été compris comme structurant leur vision de l’existence, l’affirmation de leur liberté. Leur itinéraire dessinait aux yeux du sédentaire rural le profil du fuyard et leur valait d’être considérés comme de futurs complices des brigands de grand chemin ou des bandes de vagabonds. Le sédentaire ne disposait d’aucune catégorie de pensée pour accueillir et déchiffrer l’identité de ces personnes.
{{
Un peuple méconnu}}

Aujourd’hui encore leur histoire ensanglantée n’est pas connue. Les sociétés tiennent souvent des discours péjoratifs non critiqués qui semblent aller de soi et justifier des politiques d’exclusion. Qui a choisi sa famille, son pays, son sexe et même sa religion ? Hitler n’a pas été le premier à vouloir les éliminer. Les tentatives pour les réduire à néant et les déporter jalonnent leur histoire ensanglantée, aujourd’hui étudiée, qui s’est développée face à une Eglise Catholique souvent silencieuse…

Les Roms-Gens du voyage n’acceptent plus de nos jours de vivre en parias enclavés dans nos sociétés majoritaires. Ils multiplient les associations et apprennent à se rassembler pour éradiquer l {{ {{{Les Roms – Gens du voyage
Emergence d’un peuple en Europe}}} }}
e rejet et éliminer les injustices qui ne tiennent aucun compte de leur histoire, de leur identité, de leur culture non-écrite.

Voilà que l’Europe découvre avec stupéfaction que ce peuple, éparpillé en minorités denses, est estimé à des millions de personnes dans l’Union Européenne : peuple en expansion qui culminerait à quinze millions, selon un parlementaire européen, si on rajoutait les populations des pays touchant les frontières actuelles de l’Union Européenne. Toutes les données de leur présence sont bouleversées.

Le Conseil de l’Europe a mis en place un Forum où les représentants des associations nationales des Roms-Gens du voyage se réunissent pour lutter, avec le Conseil, contre l’exclusion et la ségrégation qui prolifèrent dans des pays s’affichant démocratiques. Un laïc, délégué du Saint-Siège et membre fondateur du Comité Catholique International pour les Tsiganes, participe à titre d’observateur aux rencontres du Forum et du Conseil de l’Europe.
Et l’Eglise ?

Et l’Eglise ? Elle se présente, côté Rom, comme celle des gadjé. La participation aux célébrations ne va pas de soi. Langage, ambiance, accueil ne renvoient guère au quotidien de la vie des familles soumises à un rejet toujours aussi actif. La vérité du Sacrement du Baptême nous oblige à un constat. Où les Roms-Gens du voyage découvrent-ils une communauté fraternelle qui les épaule et ne reste pas neutre devant les injustices de l’exclusion ? Trop de petites équipes de l’aumônerie, qui s’efforcent de construire des passerelles pour enjamber le fossé social creusé depuis des siècles entre Roms et gadjé, gardent l’impression désagréable d’être l’avant-garde de communautés spectatrices. Aujourd’hui l’émergence de cette minorité si nombreuse ne permet plus la vision de petits groupes de familles plus ou moins tolérés. L’Eglise, par ses communautés, se doit de répondre à l’appel de ces hommes et femmes qui prennent la parole à l’échelle de l’Europe et n’acceptent plus d’être des citoyens de seconde zone et des croyants peu entendus.

Le président Rom du Forum lors de son premier interview note que les premières prises de parole avec le Conseil de l’Europe ont provoqué des durcissements dans les sociétés majoritaires. Des siècles de rejet ne s’évanouissent pas par quelques déclarations généreuses à ce peuple de l’Exode. Le Christ n’a pas aimé le lépreux et les exclus à distance. L’accueil de la Parole de Dieu est à ce prix. Les Roms jugent le prêtre et l’Eglise catholique à ses actes, à sa présence aux évènements et lui reconnaissent alors le droit à être écouté et entendu. Les actes de fraternité, d‘amour, d’écoute et de présence discrète ouvrent à une relation vraie. Sont-ils visibles et significatifs ?

L’Eglise Evangélique Tsigane avec des pasteurs Tsiganes attire bien des familles qui étaient en attente de la parole de Dieu et d’une communauté fraternelle de partage. Par ses réussites, elle nous interroge. Elle est déjà présente en Europe Centrale…

La Compagnie de Jésus, par son expérience acquise auprès des réfugiés et des familles qui traversent les rejets de sociétés peu ouvertes à l’étranger, est apte à approfondir des analyses sociologiques tenant compte des rejets dans leurs diversités. Une cellule de recherche en Europe Centrale, en lien avec les équipes d’Occident, serait indispensable pour mieux saisir l’étonnante diversité des itinéraires vécus et des prises de conscience actuelles, et découvrir toutes les facettes d’un rejet allant de soi chez beaucoup de citoyens habitués à des généralisations jamais fondées sur des études sérieuses [2].

Le Conseil Pontifical des Migrants et personnes en déplacement prépare le VIe Congrès Mondial de pastorale pour les Tsiganes, à Freisung (Allemagne, près de Munich), du 1er au 4 septembre 2008, sur le thème des « jeunes tsiganes dans l’Eglise et la société ».

Quelle répercussion les conclusions de ces rassemblements provoquent-elles si les responsables des communautés n’accueillent pas la parole de ce peuple qui veut être reconnu comme citoyens à part entière, désireux d’être respectés dans leur histoire douloureuse et de tenir leur place pour créer un vivre ensemble harmonieux ? Pour l’instant, il se heurte à des sociétés majoritaires habituées à un jugement cimenté par le rejet. Saurons-nous l’accompagner et l’accueillir en lien avec les hommes et les femmes qui dénoncent l’exclusion séculaire et travaillent à construire des sociétés ouvertes et fraternelles ? L’urgence de tels engagements n’est plus à démontrer pour une Eglise qui éveille les consciences à la priorité du service des exclus.
Notes

1 On peut consulter son rapport, remis le 15 février 2006, sur le site du Conseil de l’Europe. Ce rapport est un document de référence sur la situation des Roms en Europe.

2 La revue « Etudes Tsiganes » (59, rue de l’Ourcq 75019 Paris / tél. 01 40 35 12 17) publie des numéros de grande qualité sur les Tsiganes et leurs situations actuelles

Pour citer cette page
René Bernard, « Les Roms – Gens du voyage », Migrants et migrations, Ceras – revue Projet. URL : http://www.ceras-projet.com/index.php?id=162.


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