UNE JUSTICE EGALE POUR TOUS ?
A l’origine de Rencontres Tsiganes, notre projet de dialogue avec les Tsiganes et de soutien de leurs revendications, mettait en avant le respect du droit. Respect de la part des pouvoirs publics et des élus dans l’application des lois et tout particulièrement de la loi Besson sur les terrains d’accueil mais aussi respect des lois par les intéressés eux-mêmes, tsiganes voyageurs ou sédentaires. A de multiples reprises nous les avons informés de leurs droits et invités à les faire valoir devant les tribunaux en cas de litiges. Réglementation en matière de stationnement, de droit de propriété, de branchement au réseau électrique, ou encore accès aux prestations sociales, au droit du travail etc… autant domaines juridiques souvent complexes et fluctuants régulièrement remis en cause et s’appuyant sur des jurisprudences parfois contradictoires. Ce rappel des règles de droit parfois contraignantes n’est pas toujours satisfaisant pour nos interlocuteurs, mais c’était pour notre association, jusqu’à ce jour, une position incontournable. Or voilà que des évènements récents viennent semer le doute sur le comportement des juges et remettre en question chez les tsiganes comme chez nous la crédibilité de la justice.
Quatre exemples parmi beaucoup d’autres pour illustrer nos interrogations :
Un groupe de familles est propriétaire de parcelles de terrain à proximité d’Aix-en-Provence. Depuis cinq ans, Ils y installent leurs caravanes quelques semaines par ans durant l’hiver. Dans un premier temps, ils ont obtenu du juge des référés des branchements électriques. Puis sur plainte de la mairie, ils ont été condamnés par le TGI à détruire des murets et portails de clôture. Condamnés à nouveau en appel à quitter les lieux sous peine d’astreinte, leur pourvoie en cassation vient d’être rejeté. On ne peut que s’étonner de telles décisions qui semblent remettre en cause le droit de propriété pourtant considéré comme intouchable. Mais peut-être que cela dépend de la qualité du propriétaire ! Le doute s’installe lorsque l’on sait que, à quelques centaines de mètres de ces terrains, un autre groupe famille propriétaire dans les mêmes conditions, stationnant quelques semaines chaque année, a été également poursuivi par la commune d’Aix-en-Provence pour les mêmes infractions. Le tribunal administratif de Marseille puis le TGI d’Aix à deux reprises ont débouté la commune d’Aix-en-Provence condamnée aux dépens. Le propriétaire a même reçu une indemnisation pour dol. Mieux encore, poursuivi en appel à la Cours d’Aix, cette famille a été relaxée et autorisée à se maintenir sur les lieux. Rappelons que ces décisions ont été rendues par le même tribunal, sur des faits similaires, à la même période, dans la même commune. Qui peut s’y retrouver ? Où est donc passer le droit ?
Autre fait. A Marignane, on a, plusieurs fois déjà, évoqué la situation ubuesque et dramatique de la famille Buche-Sargero. Après 35 années de stationnement sur un terrain municipal sans eau et sans électricité, le maire obtient du TGI d’Aix-en- Provence une décision d’expulsion de cette famille hors de la présence des intéressés défendus par un avocat commis d’office. Tous les attendus d’une telle décision auraient dû faire l’objet d’un appel si la famille avait été bien conseillée. Après une année de discussions, le Préfet n’a pas jugé utile de revoir ce dossier et s’est dit dans l’obligation d’appliquer une décision de justice pour assurer le respect de la loi. Cette famille a été chassée avec l’aide d’un important dispositif policier et se retrouve aujourd’hui dans un état de précarité accrue, toujours sans électricité malgré l’hiver en raison de l’obstination du Maire. On notera que, dans cette commune le Maire et EDF ont été condamnés à plusieurs reprises pour refus de branchement électriques de caravanes. Après plusieurs procédures, c’est le Conseil d’Etat qui a finalement tranché en faveur des demandeurs. Par ailleurs malgré de nombreuses promesses, la mairie de Marignane n’a toujours pas réalisé de terrain d’accueil de voyageurs et se trouve ainsi en infraction avec la loi du 5 juillet 2000.
En novembre 2006 puis en avril 2007 le Préfet des Bouches-du-Rhône a été condamné a deux reprises par e tribunal administratif de Marseille. Il état poursuivi par une association de voyageur qui contestait la rédaction et la mise en oeuvre du schéma départemental d’accueil. Le préfet avait six mois puis 15 jours pour se mettre en conformité avec la loi. A ce jour aucune suite n’a été donnée à ces deux condamnations !!
A Marseille, le tribunal a ordonné l’expulsion de familles Rroms d’origine roumaine installées dans divers terrains. Les forces de l’ordre rapidement mobilisées « ont fait appliquer la loi » sans se soucier de l’avenir de ces familles qui se sont déplacées ailleurs. Un autre groupe de familles a eu plus de chance : Squattant une ancienne école désaffectée elles ont obtenu un délai de six mois pour quitter les lieux. Hasard des juridictions ? décision d’un juge plus clément, plus humain ou simplement plus au fait de la réglementation ? on ne saura pas.
Ces quelques exemples ne sont là que pour faire comprendre notre perplexité et nos inquiétudes face à une institution essentielle dans la vie collective et chargée de dire le droit et de le faire appliquer. Que devons-nous conseiller à ceux qui nous sollicitent pour connaître leurs droits ? : renoncer à faire valoir leur droit, baisser les bras et s’en aller ailleurs ou choisir un bon avocat de préférence et tenter le « quitte ou double » devant un juge comme à la loterie ? C’est malheureusement à cela que nous conduit ce qu’il convient d’appeler avec précaution des dysfonctionnements judiciaires. Le proverbe selon lequel un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès trouve là sa pleine application et c’est inquiétant pour l’avenir.
Alain FOUREST 5/12/2007