{{Les Roms sont aussi européens !}}
{{L’Italie, la Roumanie et l’UE doivent réévaluer radicalement le statut social de cette communauté}}
Le crime atroce récemment commis dans les environs d’un camp de réfugiés situé à Tor di Quinto, près de Rome, a provoqué une véritable onde de choc, tant en Italie qu’en Roumanie. Dans le cadre du débat public sur le statut des réfugiés et des résidents étrangers, ce fait divers a vite revêtu une dimension sociale et politique. Le meurtre, qui a suscité de violentes réactions dans une partie de l’opinion, a également donné lieu à de scandaleuses prises de position de la part de certains responsables politiques italiens et roumains, tout prêts à y répondre par des mesures expéditives aux accents xénophobes et totalitaires de triste mémoire.
Amplifier le caractère déjà tragique d’un crime individuel par une sanction collective visant l’ensemble d’une communauté constituerait un acte hautement irresponsable et lourd de conséquences néfastes, pour les victimes aussi bien que pour la communauté d’où le coupable est issu. Envisager une punition collective reviendrait à faire preuve d’une inacceptable amnésie, tant du côté italien que du côté roumain. Non seulement en raison de ce qui s’est passé en Europe à l’époque du fascisme, du nazisme et du communisme, mais aussi au vu de ce qui se pratique aujourd’hui dans le monde sous diverses dictatures.
L’histoire même de ces deux peuples, italien et roumain, vient nous le rappeler. Les Italiens, qui ont souvent migré du Sud vers le Nord, mais aussi à l’extérieur de leurs propres frontières, en savent long sur la condition d’exilé ou d’étranger. Quant à la Roumanie, la façon dont elle a traité et traite ses citoyens roms est tout sauf admirable. Alors que leur présence est signalée sur le territoire de l’actuelle Roumanie depuis le XIVe siècle, il faudra en effet attendre 1856 pour qu’ils soient officiellement affranchis du statut d’esclave qui fut le leur cinq siècles durant. Et, si le postcommunisme a libéré une formidable énergie, il s’est aussi caractérisé par une course cynique aux privilèges et un darwinisme social où dominent les intrigues byzantines des nouveaux parvenus.
Selon les données publiées par le quotidien Evenimentul Zilei, la minorité rom compterait ainsi 41 % de travailleurs non qualifiés et souffrirait d’un taux d’analphabétisme de 38,7 %. Or ce vieux problème roumain, et plus largement centre-est-européen, touche aussi, depuis peu, l’Europe occidentale. Ces nomades venus de l’Inde, qui ont pérégriné à travers le Moyen-Orient et l’Empire byzantin, sont désormais européens à 80 %. Dans l’affaire qui nous occupe, l’assassin, Nicolae Romulus Mailat, un jeune homme de 25 ans, avait déjà été condamné en Roumanie pour vol qualifié à l’âge de 14 ans. L’année ayant précédé son arrivée en Italie, il avait en outre été interné dans un centre fermé de rééducation, avant d’être libéré. La pauvreté serait-elle à l’origine de sa délinquance juvénile comme du crime perpétré en Italie ?
Dans le grand roman de Dostoïevski Crime et châtiment, ce n’est pas seulement le nihilisme qui pousse au crime l’étudiant Raskolnikov, c’est aussi la misère. Si son identité sociale est tout autre que celle de Mailat et son » profil spirituel » radicalement distinct, son double meurtre n’en est pas moins abominable. Nous n’avons par ailleurs aucune raison de penser que le crime pourrait constituer, pour Mailat, le point de départ d’une renaissance spirituelle ou d’un salut par la souffrance, comme dans le cas de Raskolnikov. Nous pourrions néanmoins nous arrêter un instant sur les mots de l’un des interlocuteurs du héros dostoïevskien qui, tout en évoquant la » Sodome repoussante » où il s’est égaré, estime que la pauvreté n’est pas un vice, à la différence de la misère. Dans la pauvreté, au moins gardons-nous » la noblesse des sentiments innés « , dit-il. Dans la misère, en revanche, l’effondrement s’avère souvent catastrophique.
Mailat a fui la misère qui régnait dans son pays sans s’imaginer qu’il se retrouverait en Italie dans un camp de réfugiés où la misère serait tout aussi oppressante. Cela ne constitue, bien entendu, ni une excuse ni une circonstance atténuante pour un tel crime, ni d’ailleurs pour quelque crime que ce soit. Il s’agit néanmoins d’une prémisse qui ne saurait être ignorée pour peu qu’on veuille tenter à l’avenir de remédier à ce genre de situation.
Pour l’heure, il ne serait évidemment pas raisonnable d’escompter une réincarnation angélique du criminel Mailat. Nous pouvons et nous devons toutefois solliciter une radicale réévaluation du statut social de ces marginaux. Nous pensons ici, avant tout, aux Etats roumain et italien, aux communautés rom et roumaine qui vivent dans ce pays, mais aussi à l’Union européenne. Car, qu’on le veuille ou non, le coupable relève de toutes ces communautés à la fois.
Depuis quelque temps, des voix facilement exaspérées tendent à s’élever contre l’Europe et les problèmes nouveaux que sa réunification engendre inévitablement. La libre circulation ouvre aussi sur une coexistence mutuellement bénéfique, comparable à celle qui, après la seconde guerre mondiale, a rassemblé les pays d’Europe de l’Ouest. L’Europe mérite de devenir une communauté réelle, à la hauteur de la civilisation qu’elle incarne. Diverse, démocratique, spirituelle, libre et prospère. Un continent exemplaire.
Norman Manea
Traduit du roumain par
Alexandra Laignel-Lavastine
Ecrivain
ACTUALITES SOCIALES HEBDOMADAIRES N°2530
Du 9 novembre 2007
{{Des préconisations pour garantir le droit au logement des Roms}}
« Les gouvernements devraient prendre des mesures positives afin de protéger le droit au logement des Roms en Europe » a estimé Thomas HAMMARBERG, commissaire aux droits de l’homme, rattaché au conseil de l’Europe, en tirant, le 23 octobre, le bilan des plaintes reçues par ses bureaux sur cette question.
Celles ci proviennent d’une douzaine de pays, dont la France. « Le taux et le nombre d’expulsions forcées de Roms a considérablement augmenté, et la ségrégation ainsi que la ghettoïsation dans le domaine du logement semblent s’être renforcées et enracinées. On observe également que les activités des municipalités en matière d’urbanisme sont de plus en plus déterminées à la fois par les impératifs du marché et par un mépris à l’égard de personnes considérées comme TZIGANES», estime T Hammarberg. Il pointe aussi le fait que « le sentiment d’hostilité à l’égard des Roms ou l’antitziganisme se sont indéniablement accrus en europe. Les expulsions forcées s’accompagnent souvent de menaces ou d’actes de violence à l’égard des Roms. »
Estimant que « la législation, la politique et la pratique doivent absolument être amélioré pour mettre fin à la crise du logement qui touche les Roms », le commissaire aux droits de l’homme a émis plusieurs recommandations.
Il estime tout d’abord que :
L’utilisation de mesures relevant du droit pénal pour empêcher les modes de vie itinérants doit cesser.
Et que,
Des terrains adéquats doivent être réservés aux gens du voyage dans les pays, régions ou zone où ces communautés existent.
Il préconise également,
d’officialiser les campements non-officiellement autorisés aux Roms, et de les mettre aux normes de manière à garantir la dignité des habitants.
« Les communautés de Roms concernées devraient, sur ce point, être pleinement et véritablement consultées », a-t-il estimé. En outre, les pays devraient mettre en place des cadres juridiques solide afin de s’assurer que les collectivités locales respectent le droit international en matière de droit au logement. Et « les normes juridiques européennes relatives à la législation contre la discrimination devraient être rigoureusement appliquées afin de mettre fin au traitement arbitraire fondé sur l’hostilité raciale à l’encontre des Roms. »