L’Europe : Un espoir pour les Rroms Tsiganes ?

Le MONDE 16 novembre 2007

{{Libre circulation des personnes : la Commission européenne rappelle les Etats à l’ordre}}

Le premier ministre italien, Romano Prodi, avait sollicité Bruxelles pour que soient modifiées les règles de circulation dans l’Union. Une mesure visant la communauté rom

La Commission européenne renvoie les Etats face à leurs responsabilités pour mieux intégrer les Roms. En réaction aux tensions italo-roumaines provoquées par le décret d’expulsion de ressortissants roumains, après l’agression mortelle, le 30 octobre, d’une Italienne par un jeune Rom, le ministre italien de l’intérieur, Giuliano Amato, propose que la réglementation des mouvements des citoyens européens établie en 2004 soit repensée, afin de mieux contrôler les flux migratoires.

Les Etats européens ne peuvent pas être laissés seuls face aux problèmes liés à l’immigration rom, estiment les premiers ministres italien et roumain, Romano Prodi et Calin Tariceanu.  » Il s’agit d’un cas où, typiquement, la réponse la plus efficace doit venir de l’Union européenne – UE – « , soulignent-ils. Mais que peut-elle faire ?  » Il n’est pas question de remettre en cause la libre circulation, répond Friso Roscam Abbing, le porte-parole du commissaire européen à la justice et la sécurité Franco Frattini. On peut tout au plus faire une clarification juridique de ce qui existe.  »

Les coopérations policières ont été renforcées au niveau bilatéral depuis les élargissements de 2004 et de 2007 entre la Roumanie et l’Italie comme entre la Roumanie et la France, pour ne citer que ces exemples. Mais  » on peut difficilement renforcer la coopération au niveau communautaire « , affirme le porte-parole.

La Commission renvoie l’Italie à ses responsabilités. Il ne faut pas confondre la question de la mobilité avec celle de l’intégration des minorités. Ce sont aux Etats de gérer leurs problèmes d’intégration, souligne Bruxelles. Le chef du gouvernement italien et son homologue roumain avaient adressé, début novembre, une lettre au président de la Commission, José Manuel Barroso, demandant à l’Europe de  » faire plus  » avec des mesures  » d’intégration sociale, concentrées sur la communauté rom « .

Or, le soutien de l’UE existe déjà à deux niveaux : financier et législatif. Des fonds sociaux sont alloués pour six ans par la délégation à l’emploi et aux affaires sociales qui est chargée de la lutte contre la discrimination.  » Un total de 275 millions d’euros a déjà été versé  » à la Roumanie, la Bulgarie, l’Espagne, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, a souligné M. Barroso dans un entretien accordé à La Repubblica, dimanche 11 novembre. Rien n’a été versé à l’Italie,  » car elle n’a jamais demandé à accéder à ces programmes « , a-t-il souligné.

 » Les programmes opérationnels de l’Italie pour la prochaine enveloppe budgétaire devraient être communiqués à la Commission d’ici à la fin de l’année « , affirme Katharina von Schnurbein, porte-parole du commissaire européen à l’emploi, Vladimir Spidla.  » C’est au niveau national et local que les projets doivent être développés « , souligne-t-elle, estimant que  » l’UE offre suffisamment de moyens pour trouver des solutions concrètes d’intégration « .

DIRECTIVES ANTIDISCRIMINATION

La société civile a ainsi mis en place, avec les gouvernements de neuf pays, la Décennie pour l’intégration des Roms 2005-2015 (Roumanie, Bulgarie, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Serbie, Croatie, Macédoine, Monténégro), un programme pluriannuel dont les résultats, très variables d’un pays à l’autre, sont visibles. Les directives an
tidiscrimination votées en 2000 permettent, en outre, aux Etats de veiller à l’intégration des Roms en termes d’éducation, de logement et d’emploi.

A l’occasion de la Journée internationale des Roms, l’Agence des droits fondamentaux de l’UE rappelait toutefois que  » la ségrégation dans l’éducation des Roms persiste dans de nombreux pays de l’UE. Leur taux de chômage avoisine 70 % à 90 % dans au moins trois Etats membres, dont la Roumanie « . Près de 342 000 Roumains vivent en Italie, dont 120 000 Roms, selon le Conseil de l’Europe. Les Roms forment la plus forte minorité transnationale en Europe avec plus de 5 millions de personnes.

Anne Rodier

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{{COMITE D’EXPERTS DU CONSEIL DE L’EUROPE SUR LES ROMS ET LES GENS DU VOYAGE}}

(MG-S-ROM, Strasbourg, 8-9 novembre 2007)

Ouverture de la 24eme réunion du Comité par M. Bruno GAIN,
Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe

La discrimination envers les Roms et Gens du voyage est hélas l’un des maux les plus répandus en Europe. L’actualité nous le montre de manière presque quotidienne. La cause de ces communautés a été trop longtemps ignorée ou méconnue au niveau européen, en dépit de sa légitimité démographique avec plus de 8 millions de personnes ; nonobstant sa légitimité géographique du fait de la dispersion des Roms et Gens du voyage sur l’ensemble de notre continent ; et malgré sa légitimité historique eu égard aux exclusions qui les frappent depuis des siècles.
Je suis donc heureux que des mécanismes appropriés tels que votre groupe d’experts – le MG-S-ROM – ou tels que le Forum des Roms et Gens du voyage, aient été mis en place sous l’égide de notre organisation et soient maintenant des enceintes reconnues pour effectuer un nécessaire travail de réflexion et de proposition. Il faut en effet promouvoir un dialogue porteur de solutions. Il nous faut trouver les moyens de surmonter les comportements discriminatoires à l’égard de ces communautés. Il nous faut résoudre les problèmes lancinants de l’accueil et du logement, de l’accès aux soins de santé, de l’éducation auxquels se heurtent la plupart de ces populations.
Le Conseil de l’Europe a un rôle irremplaçable à jouer à cet égard. Je sais que vous avez déjà beaucoup contribué à cette réflexion, les autorités françaises en sont bien conscientes. Mais il faut sans doute aller plus loin encore.
Nous constatons à quel point il est difficile de faire progresser les choses du fait même des caractéristiques inhérentes aux groupes concernés. En raison de son nomadisme la population de Roms et Gens du voyage échappe souvent à l’observation des travailleurs sociaux : ses besoins sont encore mal connus ; ils sont souvent biaises par les stéréotypes et préjugés qui affectent ces communautés ; et c’est une situation qui est sans doute répandue dans la plupart de nos pays. Il faut donc redoubler d’efforts pour mieux cerner les problèmes, esquisser des solutions, formuler des propositions concrètes en vue d’améliorer nos politiques, nos législations et nos pratiques.
Il n’en est pas moins nécessaire que chacun fasse sa part de chemin pour désamorcer les préjugés qui ne sont hélas pas que des vues imaginaires. Il faut donc aussi inciter les Gens du voyage à poursuivre leurs efforts d’intégration et de respect des valeurs des sociétés d’accueil.
Le nomadisme des Gens du voyage a pris de nouveaux aspects. En France par exemple, il se pratique sur des périodes parfois courtes avec l’apparition de phénomènes de semi-sédentarisation qui, en termes de logement, appellent de nouvelles réponses ne passant pas seulement par l’aménagement d’aires d’accueil. Il faut tenir compte de ces tendances à l’ancrage territorial plus ou moins durable des Gens du voyage qui, en tout état de cause, ne doivent plus être des éléments oubliés. Dans mon pays où nous venons d’instituer un droit au logement opposable, il est ainsi indispensable qu’ils puissent bénéficier des effets positifs de cette nouvelle loi. Mais cette tendance à la sédentarisation nécessite aussi de notre part une attention accrue car dans certains cas, elle peut entraîner des réactions d’incompréhension, d’agressivité ou de rejet de la part d’autres segments de la population.
La déclaration conjointe faite le 25 octobre par le Commissaire aux Droits de l’Homme, M. Thomas Hammerberg, et par le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, M. Miloon Kothari, concernant le droit des Roms et Gens du Voyage au logement doit à cet égard inciter chacun d’entre nous à faire davantage encore pour garantir à ces communautés un droit à un logement décent.
En matière de scolarisation, il faut également s’attaquer au fort taux d’analphabétisme ou d’illettrisme que l’on relève au sein de la communauté des Gens du voyage et qui résulte d’une tradition de transmission orale des connaissances liée au mode de vie nomade. En France, je reconnais – et je déplore – que la scolarisation des enfants du voyage présente encore de graves lacunes puisque 60% seulement des enfants d’âge scolaire fréquentent régulièrement l’école. C’est une question d’autant plus difficile à résoudre qu’elle est liée à des sujets parfois tabous comme les effets dans certains cas pernicieux des prestations sociales liées à la délivrance de certificats de scolarité. Il nous revient en outre de sensibiliser les communautés à la responsabilité des parents, afin de mieux faire passer auprès d’eux l’idée que l’éducation est plus que jamais un atout.
Nous devons là aussi être Imaginatifs et concevoir de nouvelles solutions. Il faut sans doute dépasser le stade des antennes scolaires mobiles ou des écoles de terrain – qui montrent au demeurant leur utilité et la capacité d’adaptation aux besoins – afin d’éviter un effet de « ghetto », et créer davantage de passerelles vers les écoles ordinaires. A la demande du gouvernement, nous venons d’engager en France une réflexion destinée à permettre aux enfants du voyage de bénéficier des dispositifs d’accompagnement éducatifs complémentaires ou d’accéder à certaines mesures déjà adoptées pour les enfants des banlieues. Mais il faudra sans doute aussi développer parallèlement pour les enfants du voyage des formes d’enseignement faisant moins appel à la nature traditionnelle de l’école, et mettre à leur disposition un enseignement aménagé.
Il convient enfin imaginer des solutions permettant, à l’âge adulte, des modes d’accès ou de retour à l’emploi compatibles avec le style de vie des Gens du voyage et correspondant à leur expérience comme à leurs attentes. A cet égard le recours à des formes de micro-entreprises ou de micro-crédits est une piste qui mériterait d’être creusée. Notre objectif en France est de permettre à chaque jeune du voyage d’accéder à une formation et à un emploi ; de donner à chacun d’entre eux des qualifications appropriées – l’avenir des activités traditionnelles n’étant guère assuré – pour que leurs familles ne dépendent plus des minima sociaux. Il nous faut aussi encourager la capacité propre des Gens du voyage à innover ou à développer leurs ressources créatrices, comme l’a montré le séminaire sur l’emploi qui s’est tenu avant-hier ici même au Conseil de l’Europe et dont les conclusions confirment l’intérêt que nous avons tous à privilégier l’autonomie plutôt que l’assistance.
En faisant ces quelques réflexions, j’ai bien conscience de ne faire là qu’effleurer des sujets complexes, des sujets que vous maîtrisez mieux que quiconque ; et je redoute de vous donner l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, de rabâcher des truismes voire même de m’égarer vers des directions auxquelles vous auriez déjà renoncé !
Permettez-moi simplement de vous dire combien les sujets que vous traitez sont importants aux yeux de mon gouvernement.
Il n’y a rien de plus inacceptable que l’exclusion et la pauvreté. Nous ne pouvons accepter qu’une partie de la population des Gens du voyage vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté monétaire. Nous ne pouvons admettre qu’ils restent au bord du chemin. Nous ne pouvons tolérer qu’ils soient les éternels oubliés. Il faut qu’ils puissent jouir effectivement des droits individuels reconnus à tous. Il faut qu’ils exercent pleinement leur citoyenneté et assument leurs responsabilités. Il faut qu’ils s’insèrent mieux encore dans la communauté nationale. Il faut qu’ils soient moins exposés aux situations de précarité.
C’est un vaste programme, j’en conviens volontiers. Et nous attendons beaucoup des travaux du MG-S-ROM et de ses recommandations qui seront pour nous une source toujours précieuse d’inspiration et de réflexion. De même que nous souhaitons aussi que le Forum des Roms et Gens du Voyage devienne un véritable lieu de dialogue et d’échange de meilleures pratiques.
Je vous souhaite donc une réunion fructueuse, en espérant qu’elle nous permettra à tous de progresser dans la voie d’une meilleure intégration de ces communautés dans nos sociétés./.


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