Des musiciens à l’amende

{{Tchavolo et Dorado sont dans un bateau, par Francis Marmande}}

LE MONDE | 25.07.07 | 13h30 • Mis à jour le 25.07.07 | 13h30

chavolo et Dorado Schmidt voyagent par le TGV Strasbourg-Paris du 30 juin dernier. Dimanche de cumulus fessus, faibles températures pour la saison. Que n’ont-ils pris le bateau ? Bientôt la cinquantaine, Tchavolo et Dorado affichent cet éblouissant éclat de musiciens manouches : Tchavolo avec son élégance à la Jean Sablon ; Dorado, le frère, cheveux de jais, chemise noire. Tchavolo et Dorado voyagent avec Samson et Branson, leurs fils et neveux, plus Mike Reinhardt, Hono Winterstein, Yorgyui Loeffler, tous guitaristes. Ces derniers composent Les Enfants de Django, enfin, si ce ne sont eux, ce sont leurs frères, excellente humeur dans la voiture 8. Ce n’est pas par mode que le jazz manouche connaît son succès actuel : c’est par nécessité. Mille sons en un venus d’ailleurs, un vivier authentique, un cocktail d’attente et d’imprévisible, le culte de la pratique instrumentale : inutile de chercher plus loin.

Chez les enfants de Django, on continue de cultiver l’orchidée du prénom : Hono, Tchavolo, Dorado, Samson, Branson ; ou parmi les Ferré, Boulou et Elios, fils du regretté Matelot, le frère de Sarane et Baro. Biréli Lagrène, lui, s’appelle Biréli, et Django s’appelait Django. Or, jetons un oeil à côté, juste en ce printemps 2007, on l’appréhendait un peu, sont apparus coup sur coup deux toreros, l’un nommé Kevin et l’autre Jérémy.

Avec leurs fils, leurs neveux, leurs cousins, leurs voisins, Tchavolo et Dorado viennent de triompher au palais des congrès de Strasbourg, leur ville. Ils se rendent à Samois-sur-Seine, la commune où repose Django. Le dernier dimanche de juin à Samois est l’occasion d’un grand rassemblement manouche. Tous ces gens (du voyage) comptent parmi les artistes les plus délicats, les guitaristes les plus farouches, les hommes du monde les plus manouches, les derniers princes de cette fichue planète qui va finir par crever non de son réchauffement, mais de sa vulgarité.

Bientôt, les élégants du train enchantent la très dominicale voiture 8. A moins que vous n’ayez personnellement voyagé avec des Gitans, ou – dans les années 1960 – avec des travailleurs espagnols, portugais, par train de nuit entre Austerlitz et Hendaye, ou encore entre Hanoï et Huê vingt ans plus tard, vous ne pouvez pas imaginer. Les trains des gens modestes de partout sont partout les mêmes : exubérants, gais, partageux, festifs, rieurs, riches, attentifs, aux petits soins ; vous pouvez aller d’Alep à Lattaquié, de Ménilmontant à Belleville, c’est long, mais toujours la même histoire.

Bref, en deux guitares déshabillées, cinq accords de quinte augmentée, trois blagues sur les gadjés, en un rien de temps les manouches emballent la voiture 8, toujours avec classe, vous les connaissez, toujours avec le consentement des voyageurs ravis, et que la fête commence. Ce voyage reste dans les annales comme un des concerts spontanés les plus vifs, les plus heureux, du monde ferroviaire, qui après tout n’aura que trop servi à conduire des Gitans et des juifs vers d’autres destins. Survient un contrôleur. Il en est d’autres. Celui-ci se prend pour sa fonction, ce qui signale, on le sait, le début des emmerdements. Dans un brouhaha de blagues, puis de protestations des autres voyageurs, le contrôleur édicte un règlement selon lequel il est interdit de jouer Minor Swing à bord d’un TGV – mais pas de téléphoner à la Terre entière, ni de laisser bramer pendant deux heures des innocents en bas âge. En gare du Nord, tout se complique. Une escouade de flics prévenus par le contrôleur zélé, armés jusqu’aux dents, attend de pied ferme les voleurs de poules de la gratte, un par guitariste. L’affai re a fini en eau de boudin sous les quolibets des passagers de la voiture 8. Une amende pour Minor Swing s’élève à 108 euros. Pour Nuages, compter dans les 200.


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