En Slovénie, le racisme contre les Roms

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{{{Racisme contre les Rroms : triste fin d’année en Slovénie}}}
TRADUIT PAR JEAN-ARNAULT DERENS
Publié dans la presse : 28 décembre 2006
Mise en ligne : jeudi 28 décembre 2006 LE COURRIER DES BALKANS

La famille Strojan a dû fuir de son village en octobre dernier, chassée par les habitants. Après plusieurs mois passés dans un centre d’accueil, les femmes de la famille étaient revenues chez elles, mais le gouvernement a envoyé les bulldozers deux jours avant Noël pour détruire leurs maisons. Le racisme s’exprime de plus en plus ouvertement dans la société et les médias slovènes. Le Président de la République Janez Drnovsek, venu apporter son soutien aux Strojan, a été hué.
Par Franco Juri
Mère et grand-mère, Jelka Strojan semble sereine. Ses yeux verts, qui semblent encore plus grand avec son teint mat regarde directement au fond de l’âme. Ils ne montrent pas de haine, pas de rancoeur, encore moins de peur. Ils révèlent plutôt la dignité, peut-être une blessure, mais beaucoup de dignité et de courage.
Pourtant, sur la route qui passe au milieu du bois, entre Ambrus et Zagradec, les femmes Strojan sont pratiquement seules avec leurs enfants : le timide Elvis, qui a sept ans et fréquentait l’école de Zagradec, mais ne veut plus y aller, le malicieux Danijel, quatre ans et demi, très blond avec des yeux marron, et la petite Samanta, toujours souriante.

(Jelka Strojan – © Roberto Colussi / Osservatorio sui Balcani)
Il y a aussi les filles de Jelka, Viola et Jasna qui est enceinte, ainsi que Lidija, la femme de Zeljko, le seul homme de la famille Strojan qui ait un métier et auquel on permette de vivre dans sa maison. Lidija n’est pas rrom, c’est une « civilka », une Slovène de Zuzemberk qui, par amour, a choisi il y a cinq ans de vivre avec les Strojan.
La demeure est gardée jour et nuit par une vingtaine de policiers armés jusqu’aux dents, équipés de gilets pare-balle. Il y a deux ans et demi, quelqu’un avait lancé une grenade contre une baraque rrom, tuant deux femmes. Ici, on ne plaisante, et les Rroms aussi sont armés, même si leurs pistolets et leurs fusils sont cachés dans les bois. On a peur des têtes brûlées, qui ne manquent pas dans les parages.
Les milices veillent toujours
Des skin-heads sont venus prêter main-forte aux villageois, ainsi que les « Hervardi » et les « Guerriers de Carinthie », des milices organisées pour défendre la « pure identité slovène ». Ce dernier mouvement touche pourtant des financements publics, versés par le Bureau pour l’information du gouvernement.
Le long de la route qui mène de la maison des Strojan à Ambrus et Zagradec, il y a toujours quelques check-points, avec des policiers en tenue et en civil. Dans la région, règne un calme lourd et tendu. Les journalistes ne sont pas bien vus. Le maire d’Ivancna Gorica, Andrej Lampret, et même le curé Joze Kastelic, ont refusé de me rencontrer et d’accorder une interview à la télévision de Koper. Au téléphone, le curé accuse les médias : « c’est vous, les journalistes, qui êtes la cause de tant de confusion ! ». Les jeunes d’Ambrus n’ont aucune hésitation : « Si les Strojan devaient revenir, nous nous organiserions de nouveau ».
Le gouvernement leur a promis d’installer la famille au loin. Une délibération de la municipalité d’Ivancna Gorica, dont dépend le villge d’Ambrus, interdit aux Rroms de se réinstaller sur le territoire de la commune.
La famille est maintenant divisée et séparée : huit femmes et enfants ont reçu la permission de revenir chez eux, de manière provisoire et soussurveillance. Parallèlement, les inspecteurs ont ordonné la destruction de leurs maisons « illégales ». Maman Jelka regarde les événements avec calme et lucidité : « s’ils abattent nos maisons, nous planterons des tentes et nous resterons ici. C’est notre terre, ni les cris ni les menaces ne nous feront partir. Des constructions illégales, ce n’est pas ce qui manque autour d’Ambrus et de Zagradec. Est-ce qu’ils vont aussi les abattre ? »
Le reste de la famille, soit 16 personnes, dont les hommes adultes, Mirko, Miha et Rajko, sont toujours bloqués dans le Centre d’accueil pour étrangers de Postojna et ne peuvent pas revenir chez eux. La police bloque toutes leurs tentatives de rejoindre leur mère et leurs soeurs. Officiellement, par mesure de sécurité. Le Premier ministre Janez Jansa et le ministre de l’Intérieur Dragutin Mate ont promis aux habitants d’Ambrus que la famille rrom ne reviendrait pas dans les constructions illégales. Il s’agit d’une petite maison et de petites baraques construites au fil de douze années de vie sur un terrain que les Strojan ont légalement acquis, mais qui n’a pas reçu le statut de zone constructible.
Fin octobre, la famille a dû fuir, menacée par plus de 500 paysans armés de pieux et de tronçonneuses, qui l’accusait d’être un repaire de brigands, de polluer l’eau et de menacer la sécurité des passants. Maintenant, le gouvernement de Ljubljana diffuse un document en anglais prétendant que Strojan seraient partis d’Ambrus de leur propre gré. Le mensonge ne tient pas la route. Ils ont été forcés de fuir leur maison par la foule, excitée par le Parti démocratique slovène (SDS), le principal parti du gouvernement.
Racisme et haine à la télévision d’État
Les accusations contre les hommes de la famille se sont poursuivies même après leur expulsion et leur déportation à Postojna. Le tabloid à scandales Direkt a même accusé en première page les trois frères Strojan d’avoir brutalement violé une mineure en 1994. Pourtant, l’accusation n’a jamais été retenue par la justice, le procureur avait classé le dossier faute de preuves. Les hauts magistrats et les enquêteurs jugent cette dénonciation infondée. Direkt ne publia pas un début de preuve, ni ne révéla le nom ou l’origine de la supposée victime. Par contre, il accusa de négligence les magistrats qui classèrent l’affaire et décrivit dans les plus petits et plus horribles détails les violences que la mineure anonyme aurait subie.
C’est un « scoop » que les Strojan n’ont même pas lu à Postojna, mais qui excita la xénophobie, et incita Zmago Jelincic, le dirigeant du Parti national slovène (SNS) à accuser les « Tziganes » de tous les maux qui affligent la société slovène, y compris les viols.
La télévision publique a organisé un spectacle du nom de « Pyramide ». Il s’agit d’un talk show à l’américaine, au cours duquel les invités s’affrontent sans réserve d’excès réthoriques ni de coups bas. Avaient été invités Zmago Jelincic et le chasseur de lapins de Novo Mesto, Zoran Grm. Dans le public, pour rendre le show encore plus excitant, il y avait même les frères Strojan, que la télévision avait ramené de Postojna à ses studios.
Jelincic, dans son style d’histrion et d’exhibitionniste raciste, a tiré à bout portant sur les Rroms, les insultant durant toute l’émission. Au final, il l’a emporté, avec 70% de votes préférentiels des téléspectateurs. Des polémiques n’ont pas tardé à éclater, et l’émission a été retirée des programmes et du site Internet de la télévision.
Mais les Rroms sont désormais stigmatisés, et le lynchage médiatique a produit les effets attendus. L’un de ces effets est un éclatement interne à la communauté rrom de Slovénie elle-même. La communauté plus aisée du Prekmurje, où les Rroms sont bien organisés et où les relations sont bonnes avec les Slovènes, appelle à la modération et à la patience. Les Rroms de la Dolenjska, moins intégrés dans une société traditionnellement plus hostile qu’en Prekmurje, se radicalisent et annoncent la constitution d’une nouvelle Union rrom, séparée de celle dirigée, depuis Pusca, par le modéré Jozef Horvat-Muc.
L’affaire Strojan révèle une violation flagrante des lois nationales et des conventions internationales. Les membres d’une même famille sont séparés contre leur volonté. Une fille de 17 ans, par exemple, ne peut plus rejoindre sa mère. Maintenant, les avocats auxquels se sont confiés les Strojan – et qui ont offert leur aide gratuitement – pensent déposer une plainte contre l’État. Et, pour obtenir justice, les Strojan sont prêtsà aller jusqu’à la Cour européenne de Strasbourg.
Les bulldozers à la veille de Noël
Le 22 décembre, des bulldozers sont venus abattre les quatres petites bâtisses qui servaient de maisons aux Strojan. Même si les températures étaient descendues en-dessous de zéro dans la région, les autorités ont décidé de procéder sans attendre à cette destruction. La famille Strojan a dû passer deux nuits sous des toiles de tente dans l’enclos de sa propriété aux maisons détruites.
La démolition s’est effectuée sous protection de la police, avant même que tout autre hébergement ne soit proposé à la famille. Maintenant, le ministre de l’Environnement serait en train de dresser la liste de toutes les constructions rroms « abusives » de Slovénie (et au moins la moitié de ces constructions sont « abusives »). Il s’agit peut-être d’un prélude à de nouvelles destructions et de nouvelles expulsions. C’est en tout cas ce que craignent les représentants de la communauté rrom de Slovénie.
Le Président Drnovsek hué
Jelka Strojan et sa famille seront logés jusqu’en avril à Roje, dans la périphérie de Ljubljana, dans une caserne appartenant au ministère de la Défense. Jelka Strojan ne voulait pas abandonner sa terre, mais le Président de la République Janez Drnovsek est venu en personne la convaincre d’accepter la proposition de relogement.
Janez Drnovsek ne s’est d’ailleurs pas limité à cela. Fidèle à son engagement civil et humanitaire très peu conventionnel, il a pris la tête d’un convoi de deux camion, qui transportaient des containers pour les Strojan, mais le convoi a été bloqué par les vaske straze, les milices paysannes qui bloquent tout véhicule qui pourrait venir apporter une aide à la famille rrom. Ainsi, le Président de la République en personne a été bloqué, sous les yeux de la police qui n’a rien fait.
Cela n’a pas intimidé Janez Drnovsek. Descendu de sa voiture en vêtement de tous les jours, il a harangué les plus de 200 personnes venues d’Ambrus et de Zagradec pour l’empêcher d’apporter les containers. « Où est votre conscience chrétienne ? Qu’est-ce que Jésus Christ dirait de cela ? » a-t-il demandé à la foule de plus en plus menaçante. « Si un enfant devait mourir de froid, je vous en tiendrai pour responsables ».

(Le Président Drnovsek à Ambrus – © Osservatorio sui Balcani)
La situation est devenue de plus en plus dangereuse, des insultes ont volé. Certains ont crié à l’adresse du Président : « cochon, tzigane, clochard ! » On a failli arriver aux coups.
Janez Drnovsek a réussi à se dégager, et il a poursuivi seul, à pied, la route qui traverse le bois, pour retrouver la famille Strojan. Il a embrassé Jelka, et il l’a convaincu d’accepter le relogement à Roje : la famille disposera de 200 mètres carrés bien équipés et bien chauffés, entourés d’une végétation abondante mais aussi d’une enceinte de protection. « Nous avons accepté parce que c’est le Président de la République qui nous l’a demandé, il veut sincèrement nous aider », a expliqué Jelka Strojan.
Au printemps, un autre hébergement stable devrait être trouvé à Ambrus, ce qui risque d’être difficile, étant donné les réactions de la population. Janez Drnovsek est revenu voir les habitants avec le nouveau maire de Ljubljana, Zoran Jankovic, le seul maire slovène qui ait proposé sa commune pour accueillir les Strojan.
Selon Zoran Jankovic, les enfants de la famille d’âge scolaire seront inscrits au plus vite dans la plus proche école élémentaire, mais le gouvernement a déjà prévu des leçons à domicile, de façon à éviter cette éventualité.
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