Monsieur le juge….
Ce mercredi de décembre, dans la salle d’audience du tribunal administratif de Marseille, une fois de plus nous attendions votre verdict. Nous, c’est-à-dire deux citoyens militants d’un âge certain et un peu durs d’oreille. Nous n’étions pas là par hasard mais en témoins qui se sont sentis outragés par le fonctionnement d’une justice aux ordres du pouvoir.
Au fond de la salle, apeurés et désemparés, trois femmes dont l’une allaite son petit et un homme. A leur côté un octogénaire, pasteur protestant, un peu perdu lui aussi, qui tente de comprendre et de rassurer la famille qu’il a accompagnée dans cette galère. Ce sont des Rroms Roumains qui expulsés de squat en squat ont trouvé provisoirement un petit coin dans un parking d’une halte de gare pour y construire un abri de fortune et subsister avec l’aide de quelques voisins et des restos du coeur. Ils ont entre leurs mains un épais dossier de convocation et la plainte de la SNCF qui exige leur expulsion sous prétexte d’insécurité et de l’insalubrité. Manifestement ils n’ont pas su lire ce dossier et ne parlent pas le français. Bref le régime habituel des convocations devant ce tribunal qui applique sans sourciller les plus récentes directives gouvernementales ‘en faveur’ des Rroms.
Trois autres personnes, bien françaises celles-là, viennent d’entrer discrètement et sont tout aussi intimidées. Nous avions rendez-vous. J’avais été prévenu la veille de leur convocation devant le juge sur plainte du maire de la commune dans laquelle ces ‘gens du voyage’ stationnent avec leurs caravanes depuis quelques semaines. Dans ces conditions, pas le temps de faire appel à un avocat (et puis ça coûte cher) alors je suis là pour tenter de comprendre leur situation et de plaider leur cause. C’est la troisième fois en six semaines qu’ils sont ainsi convoqués pour les mêmes raisons. Selon le maire, ils stationnent illégalement sur un espace public communal et créent de multiples troubles à l’ordre public : « Or le maire ne peut accepter que la sécurité des personnes soit mise en cause sur le territoire de sa Commune… Le maire ne peut accepter que sa responsabilité soit engagée par des occupants illégaux qui ont fait l’objet de plusieurs ordonnances d’expulsion »
En effet : par deux fois déjà le même juge a ordonné l’expulsion de ces familles et elles se sont exécutées. J’avais pourtant pu intervenir au nom de l’association Rencontres Tsiganes en rappelant la loi du 5/7/2000 qui prévoit la réalisation des aires d’accueil pour les gens du voyage et en précisant que la commune concernée ne s’étant pas acquittée de son obligation ne pouvait s’en prévaloir pour demander cette expulsion. « Merci Monsieur le président d’avoir bien voulu accepter de m’entendre une nouvelle fois malgré ma maladresse et mon incompétence !!. Vous auriez pu aussi revoir votre dossier, relire les textes de lois et la jurisprudence et, sans vous apitoyer sur la situation de ces familles, accepter de les entendre et considérer que, dans cette affaire, les torts sont au moins largement partagés. Mais que vous soyez puissant ou misérable …. !! »
Conclusion : en quelques minutes ce mercredi-là, comme d’autres jours, sans avocat, sans interprète, quasiment sans témoins, un homme, seul détenteur du pouvoir judiciaire, au nom du peuple français, a donné à ces hommes et ces femmes et à nous deux, une image intolérable de la justice dans ce pays des Droits de l’Homme. Inutile de préciser qu’en 48 heures, dans un cas comme dans l’autre, une ordonnance d’expulsion a intimé l’ordre aux familles de quitter les lieux sous peine d’une astreinte financière lourde et de menace de recours à la force publique.
J’imagine les multiples arguments que l’on pourra mettre en avant pour condamner ces propos et peut-être même me poursuivre pour outrage à magistrat. Qu’importe !!! je n’ai fait que résumer une heure passée devant un tribunal de Marseille un certain mercredi noir .
Alain FOUREST
Marseille le 17/01/2012