Rencontre avec un admirable Grand-Père

 Avec Isabelle Ligner qui l’a accompagné dans l’écriture du récit de ses aventures, Raymond Gurême nous à tous subjugué par sa simplicité et sa  manière de raconter les plus dures moments de son existence. Comme il le constate, cette période dramatique de l’histoire de France est de retour avec les discours de l’été et la politique menée envers les Tsiganes et les Roms en France et dans le reste de l’Europe.

INTERDIT AUX NOMADES

Un Tsigane parmi les Résistants d’hier et d’aujourd’hui aux Glières

Par Isabelle Ligner
C’est sur une estrade de fortune et sous une pluie battante que Raymond Gurême, voyageur de 85 ans, a pris la parole le 14 mai aux côtés de grands résistants comme Stéphane Hessel, ancien ambassadeur et auteur du best-seller « Indignez-vous ! », qui a eu le mérite de réveiller les consciences en France et à l’étranger, inspirant notamment le mouvement actuel des Indignés en Espagne, en France ou en Grèce.
Cela se passait sur les lieux d’un des maquis français les plus connus, les Glières (Savoie), et a permis à Raymond Gurême de réclamer la fin des politiques frappant les plus fragiles dans la société et notamment les éternels bouc-émissaires, les Roms et les Gens du voyage.
Après avoir lu « Interdit aux nomades » (Calmann-Lévy), l’ouvrage qui retrace le parcours de M. Gurême, les organisateurs du rassemblement des Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, Didier Magnin et le réalisateur Gilles Perret, avait tenu à trouver une place de dernière minute à ce voyageur, dont la famille fut broyée par le rejet et l’arbitraire. Ce en solidarité avec les Roms et Gens du voyage et afin de dénoncer les violentes déclarations gouvernementales prononcées depuis l’été 2010. Celles-ci ont débouché sur de multiples expulsions de terrains et toujours plus de discriminations.
Sur la tribune, sur laquelle il bondit d’un coup de rein devant 3.000 personnes médusées et une forêt de parapluies, Raymond Gurême a pu dire quelques motsà propos du traitement indigne que les Tsiganes ont eu à subir de la part des autorités françaises par le passé et faire le lien avec les discriminations qui les frappent actuellement.
Gilles Perret a rappelé le parcours de Raymond Gurême: français, interné avec toute sa famille à 15 ans dans un « camp pour nomades » par les autorités françaises, évadé, résistant, déporté vers des camps de discipline en Allemagne puis à nouveau évadé, membre des FFI pendant la Libération de Paris et jusqu’à la capitulation allemande. Puis, malgré le froid, l’humidité, l’émotion s’est installée lorsque Raymond Gurême a pris le micro pour rappeler les persécutions passées et exprimer son inquiétude pour le présent et l’avenir des Voyageurs: « Ce que j’entends actuellement me rappelle Vichy », a-t-il lancé sous les applaudissements. « Je ne voudrais pas que cela recommence parce que l’on est Gitans et pauvres… ».
Son intervention a servi de préambule à la lecture de l’appel de Thorens-Glières lancé officiellement par les premiers signataires, une douzaine de résistants dont Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Marie-José Chombart De Lauwe, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, Georges Séguy, Henri Bouvier, Léon Landini, Pierre Pranchère, Odette Nilès, ex-fiancée de Guy Moquet, Charles Paperon.
Cet appel concerne tous les citoyens, donc les voyageurs, puisqu’il demande aux candidats aux élections présidentielle et législatives de 2012 de renouer avec le « vivre-ensemble » et de défendre le socle des conquêtes sociales du Conseil national de la Résistance, systématiquement démantelées ces dernières années.
« Il est aujourd’hui concevable de définir un nouveau programme de la Résistance pour notre siècle » estiment les Résistants dans ce texte lu sur la tribune de Thorens-Glières, sous les applaudissements. « Au lieu de cela, le débat public qui s’annonce avec l’ élection de 2012 semble privilégier les manoeuvres politiciennes au service d’intérêts particuliers sans traiter: des causes politiques des injustices sociales, des raisons des dérégulations internationales, des origines des déséquilibres écologiques croissants ».
Afin de « garantir l’égalité », l’appel préconise de « reconstituer les services publics et institutions créés à la Libération pour aller vers une véritable démocratie économique et sociale » et insiste sur le « droit à la santé pour tous, droit à une retraite, droit à l’éducation, droit au travail, droit à la culture demeurent les seuls véritables garants de l’égalité républicaine. Une égalité qui n’a de sens que dans le respect du droit des étrangers. »
Afin de « garantir la liberté », le texte souhaite que les législateurs puissent « approfondir la forme républicaine du gouvernement afin de séparer clairement les pouvoirs et renforcer la démocratie parlementaire au détriment de notre régime présidentiel personnalisé » et « garantir la qualité du débat démocratique et la fiabilité des contre-pouvoirs, en assurant à nouveau la séparation des médias et des puissances d’argent, comme en 1944. »
Afin de « garantir la fraternité », l’appel préconise de « travailler les coopérations avec les peuples et les pays, en refusant l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. Favoriser résolument des solutions soutenables pour les équilibres écologiques, dans les limites de développement compatibles avec la survie humaine. Ecarter de la marchandisation totale les besoins vitaux de l’être humain comme l’eau, la nourriture et l’énergie. »
« Il est temps de bien vivre ensemble, dans la haute nécessité de l’épanouissement du plus grand nombre et d’offrir une perspective d’avenir prometteur aux jeunes générations », a lu Stéphane Hessel devant une foule enthousiaste à l’idée d’inventer « de nouveaux jours heureux ».
Après la lecture de cet appel, Raymond Gurême a tenu à saluer au micro « ceux qui ont résisté aux Allemands et à la milice française, qu’ils aient sauvé leur peau ou non ».
La suite de l’après-midi, toujours sous un déluge, a été l’occasion d’échanges fructueux et de belles rencontres. Sous la « tente » aménagée de la librairie « Préface » de Bonneville, Raymond Gurême a dédicacé son livre à une cinquantaine de personnes, touchées par son histoire et l’énergie qu’il déploie pour lutter contre les préjugés et assurer un meilleur avenir aux générations de voyageurs qui viennent après lui.
Le rassemblement des Glières fédérait une nouvelle fois cette année des « Citoyens résistants » actifs dans différents domaines comme Alain Refalo, chef de file des désobéisseurs de l’Education nationale, l’urgentiste Patrick Pelloux, l’économiste Frédéric Lordon ou le président de la Ligue des droits de l’Homme Jean-Pierre Dubois.
Ce dernier a fustigé le lendemain sur le plateau des Glières et sous la neige « le discours insupportable sur l’identité nationale aux relents vichyssois » prononcé par Nicolas Sarkozy » sur le lieu même « où la barbarie nazie avait massacré ceux des Glières ».
« N’attendons pas que l’histoire se répète », a-t-il martelé. « Nous savons que nous ne sortirons de cette grave crise sociale et démocratique que, soit à gauche par la solidarité et l’égalité, soit à l’extrême-droite par le chacun pour soi et la compétition à outrance ».
Cofondatrice de l’Organisation contre la torture en Tunisie et figure de la récente révolution du jasmin, l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui a pour sa part invité les Citoyens résistants à passer de « l’indignation », prônée par Stéphane Hessel, à la « révolte ». « Je vois qu’ici aussi vous avez besoin d’un régime vraiment démocratique, parlementaire…Vous avez besoin aussi d’institutions qui oeuvrent dans l’intérêt de tous les citoyens, et pas uniquement pour une classe bien déterminée », a-t-elle lancé.
Le rassemblement et l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui sont nés de l’exaspération engendrée par la « récupération » du plateau des Glières par le candidat Sarkozy durant la campagne électorale de 2007. Depuis, les effectifs du rassemblement ne cessent de croître.
Dans un communiqué, l’association a dénoncé le fait que le président de la République soit venu mardi 31 mai « faire son rituel show médiatique » sur le Plateau des Glières, y voyant une nouvelle fois, un « détournement manifeste du prestige du maquis des Glières à des fins strictement personnelles ».
Quant à Raymond Gurême, il espère pouvoir participer à nouveau l’année prochaine à cette mobilisation citoyenne qui a tendu la main aux Roms et Gens du voyage par son intermédiaire. Il souhaite aussi, à terme, une meilleure reconnaissance du rôle méconnu des voyageurs dans la Résistance alors qu’il vient d’essuyer un énième refus de l’administration française concernant le statut de déporté/résistant. Ce refus est notamment basé sur une décision de justice d’un tribunal nazi de 1943, qui l’avait condamné pour le « vol » d’un camion de vivres, qu’il a remis à un réseau de Résistants, près d’Angers. Par un raisonnement pour le moins curieux, l’administration française actuelle le considère donc comme un voleur et non comme un Résistant, sur la base d’un jugement nazi.

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