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COURRIER INTERNATIONAL n° 997

{{HONGRIE}}

{{ {{{Les Roms, le racisme et le vivre ensemble}}} }}

La société hongroise – y compris la gauche libérale – doit reconnaître qu’elle a un problème de cohabitation avec la communauté tsigane. Solution proposée : axer l’effort d’intégration sur la scolarisation.

Dans le débat en cours sur la difficulté d’intégration des Roms hongrois [10 % de la population], mon rédacteur en chef m’a demandé d’écrire la version politiquement correcte. Fastoche ! me suis-je dit. “C’est un faux problème. Si les racistes cessaient d’accuser les Tsiganes de tous les maux, ce serait résolu.
Vraiment ? Bien sûr que non. Les quinze dernières années prouvent que non seulement cette attitude n’a pas résolu les problèmes, mais qu’elle n’a fait que renforcer le discours raciste dans la société. La montée du Jobbik [parti d’extrême droite] est en grande partie due à l’angélisme prôné par les libéraux de gauche.

A-t-on tort d’affirmer cela ? Pas tout à fait. Le dénigrement peut aggraver la situation, déjà dangereuse. Si les Tsiganes sont persuadés qu’on les considère comme des criminels quoi qu’ils fassent, que gagnerait un Rom honnête à vivre honnêtement ? Eviter la prison ? Là, au moins, il est au chaud et nourri. Et encore, ce n’est pas sûr, car si “tous les Tsiganes sont des criminels”, on accusera quelqu’un – n’importe qui, mais sûrement un Tsigane – du délit. Et tant pis s’il est innocent.

Aucun chemin ne permet de sortir du village-ghetto

On constate partout en Europe que le multiculturalisme – la cohabitation pacifique des cultures, grâce à laquelle les gens s’enrichissent du contact de plusieurs identités et d’autant d’expériences culinaires – ne fonctionne pas. Le côté culinaire, ça va ; la cohabitation, pas toujours. Celle-ci engendre des partis aux penchants sécuritaires, racistes et xénophobes. Non que les électeurs des racistes sécuritaires veuillent éliminer ou interdire qui que ce soit : il ne s’agit pas de hitlerei [petits Hitler]. Les électeurs des racistes le sont pour des raisons sécuritaires : ils veulent du calme, moins d’agressions à l’école et dans la rue.

Bien que beaucoup contestent le rapprochement entre la situation des Tsiganes de Hongrie et celle des Noirs d’Amérique, je ne trouve pas d’exemple plus révélateur. Les Roms hongrois qui décrochent de la société et vivent dans des ghettos ne sont pas forcément des criminels. Ils vivent dans une société organisée en clans et souffrent davantage des “mauvaises familles” de leur village (qui volent tout le monde, Roms compris) et de l’usurier (également rom) que de la discrimination. Dans leur grande majorité, ils n’auront jamais l’occasion d’être discriminés, car aucun chemin ne leur permet de sortir du village-ghetto.

La question qui divise les intellectuels hongrois est la suivante : qui doit tracer ces chemins ? Je ne crois pas que les Roms ghettoïsés soient capables de le faire tout seuls. Les organisations tsiganes ne servent qu’à offrir des tribunes à leurs cadres corrompus et avides de pouvoir. [Deux responsables roms ont été récemment inculpés pour dé–tournement de fonds publics.] Les antennes tsiganes des municipalités permettent seulement d’arrondir les fins de mois des représentants locaux des Roms. Elles sont les purs produits de la démocratie hypocrite : elles n’offrent aucune solution structurelle.

Sérieusement, qui peut imaginer que des gens honnêtes mais au chômage puissent envoyer leurs enfants au lycée ? Celui qui le croit n’est jamais allé voir une famille rom. Ces familles vivent dans une économie sans argent liquide (à moins qu’elles ne volent). En dehors des dons et de tout ce qui peut être produit, construit ou bricolé sur place, tout ce qui doit être payé (essence, fournitures scolaires, cours de rattrapage) leur est inaccessible. Le petit rom (fille ou garçon) peut se donner du mal à l’école (et supposons que les parents et les enseignants l’aident à réussir), il ne voit pas où cet effort mène : il ne pourra pas quitter le village, puisqu’il n’y a pas d’argent pour l’internat, le train, les manuels.

Créer une culture mixte, propice à l’assimilationbr>
“Eduquer” les Roms adultes est une tâche également impossible. Ceux qui vivent honnêtement dans cette culture de misère ont peur des groupes criminels, mais ils savent que, en cas de problème, ils ne pourront s’en remettre qu’aux membres de leur famille (parmi lesquels il y a sûrement quelqu’un qui a choisi la criminalité). Observons ce qui se passe dans un village de ce type. Les “bons” Tsiganes (ce sont eux qui se désignent ainsi) déménagent dès qu’ils peuvent dans le “haut du village” – le bon quartier. Ils veulent s’assimiler et nouer de bonnes relations avec les voisins “blancs” (en général également chômeurs). Dans le village, les maisons du bon quartier ont un prix beaucoup plus élevé que celles du “bas du village”. La famille rom emprunte donc à la banque. Elle devient d’emblée vulnérable, car, si le chef de famille ne trouve pas de travail ou si on le renvoie sans salaire après un mois de travail, ou encore s’il ne touche que la moitié du tarif horaire promis, la comptabilité familiale s’écroule. Arrive alors l’usurier.

Pour les sortir de la criminalité, la prison n’est pas la punition adéquate. Elle n’est pas dissuasive. Quant à savoir ce qui serait réellement dissuasif, nous, Blancs de la classe moyenne, nous l’ignorons. Pour le découvrir, nous aurions besoin d’un anthropologue et d’un connaisseur de la culture tsigane, et surtout de la collaboration de la communauté rom. Et enfin : non, les Roms ne vont pas travailler de sitôt. On peut éduquer les adultes à gérer leur argent et on peut veiller à ce qu’ils soient rémunérés normalement lors des travaux saisonniers. Mais il est irréaliste d’attendre d’eux qu’ils trouvent du travail. Car, bien qu’ils en cherchent, ils n’en trouvent pas. Non pas parce qu’ils seraient discriminés, mais parce qu’il n’y a pas de travail dans la campagne hongroise en ce moment. Il n’y en a pas pour des gens qualifiés ; alors, pour les non-qualifiés… La lente mise à niveau des Noirs d’Amérique a commencé par la création d’écoles dans lesquelles on attirait, avec des bourses, les enfants noirs des régions pauvres. (Michelle Obama a fréquenté une école de ce type.) Pensons à l’exemple de ce lycée fréquenté majoritairement par les Noirs (et surtout déserté par eux), où un citoyen devenu riche a promis à ceux qui obtiendraient le baccalauréat de financer entièrement leurs études universitaires : 87 % sont devenus bacheliers.

Contrairement à la majorité des sociologues et des psychosociologues (et en reconnaissant que je ne suis pas une spécialiste de la question), je ne trouverais pas scandaleux de placer les enfants roms en internat. La famille rom que je connais de près a été fondée par des jeunes éduqués en internat. Et qui sont reconnaissants d’avoir échappé à la force destructrice de leur milieu. Ils ont gardé des liens de parenté, mais ils se sont créé une culture familiale mixte, propice à l’assimilation. Ils sont très attentifs à leurs enfants et ils font tout pour leur donner une bonne éducation.

Si nous n’aidons pas maintenant les enfants de 10 à 12 ans à s’assimiler, nous, Hongrois de la classe moyenne, nous perpétuerons les tensions par négligence et par irresponsabilité, comme nous l’avons fait pendant ces deux dernières décennies, en préférant détourner le regard et cacher notre impuissance derrière un discours politiquement correct et qui ne coûtait rien.


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