Une assemblée générale ouverte

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RAPPORT A L’ASSEMBLEE GENERALE DU 15 DECEMBRE 2007}}

Il y aura bientôt cinq ans que nous nous réunissions à quelques-uns pour constituer l’association RENCONTRES TSIGANES. Il nous semble donc nécessaire aujourd’hui, au-delà du traditionnel rapport annuel d’activité, de faire le point et, avec les adhérents, de tenter d’évaluer ces cinq années d’activités en les confrontant aux objectifs que nous nous étions fixés à l’époque et que l’on rappellera :

– Bâtir des passerelles entre les uns et les autres, les Tsiganes et les Gadgés, et faire reconnaître et défendre les droits de chacun.
– Faire connaître et mettre en valeur la culture tsigane et créer des occasions de fêtes et de solidarité.
– Informer les responsables locaux et régionaux de la réalité des besoins et des modes de vie des Tsiganes.

Tout en mesurant l’ampleur de la tâche qui demeure, il est cependant utile de mettre en lumière les premiers résultats acquis au cours de ces cinq années.

LA RENCONTRE et le DIALOGUE

En cinq ans, nous avons pu nouer des relations de confiance et même souvent d’amitié avec de nombreux Tsiganes et en particulier des voyageurs. En les rencontrant sur leurs lieux de vie, en les informant sur leurs droits, en les assistant dans les conflits avec les autorités, nous avons pu ainsi créer des relations de confiance et de respect réciproque. C’est fréquemment aujourd’hui que certains n’hésitent pas à nous appeler de l’autre bout de la France (vive le téléphone portable) pour une information, un avis ou un conseil. D’autres ont franchi le pas et adhèrent à Rencontres Tsiganes pour y prendre des responsabilités ; ils sont encore trop peu nombreux, mais ils y jouent un rôle indispensable. Malgré les charges que cela leur crée, nous n’hésitons pas à les mobiliser pour des réunions avec les autorités, des conférences de presse, des interventions de formation ou tout autre manifestation publique. Qu’ils en soient ici remerciés.

Cette orientation est, nous en sommes convaincus, la principale caractéristique de notre association qu’il convient de développer sans relâche. Nous connaissons les réticences de part et d’autre qu’il faut surmonter pour qu’un dialogue vrai s’instaure après des siècles d’ignorance et de mépris. On nous a parfois accusé par certains de parler abusivement au nom de Tsiganes. S’il nous est arrivé, dans l’urgence, d’exprimer un point de vue sans en débattre, notre mode de fonctionnement permet, nous semble-il, à chacun, une liberté d’expression qui n’est à ce jour pas démentie.

Ces résultats acquis auprès des voyageurs sont plus modestes lorsqu’il s’agit des Tsiganes sédentaires ou des Gitans. En apparence plus intégrés à la société qu’ils côtoient, leurs besoins et leurs attentes sont différents même s’ils revendiquent une histoire et une culture proche de celles des voyageurs. Nous nous refusons d’ailleurs à rentrer dans une classification administrative trop rigide pour nous attacher à mettre en évidence les exclusions dont sont victimes les uns et les autres. C’est auprès de ce public que, nous le verrons, nous allons faire porter l’effort dans les prochains mois.

LA DEFENSE DES DROITS ET L’INTERPELLATION DES POUVOIRS PUBLICS

La mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 a été à l’origine de nos premiers combats. Nous pensions, avec d’autres et surtout avec les voyageurs, que la mise en application de ce texte allait sensiblement améliorer les conditions de vie de ces familles. Force est de constater, près de huit ans après le vote de la loi, que, dans beaucoup de lieux en France et tout spécialement dans notre région, il n’en est rien. Les maires, sauf exption, ont partout fait obstacle à la réalisation des aires d’accueil et les représentants de l’Etat, trop frileux, n’ont pas pu ou voulu faire appliquer le droit. Dans les six départements de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, le nombre de places de stationnement de caravanes existant à ce jour est de l’ordre de 400 alors que 3650 avaient été programmées. Nous n’avons pas cessé de dénoncer cette situation absurde dont certains élus tiraient parti pour stigmatiser davantage les voyageurs auprès de leurs électeurs.

Nous sommes également intervenus à de multiples reprises, et souvent en vain, auprès des représentants de l’Etat pour que les commissions départementales en charge du suivi des schémas d’accueil soient réunies et que les intéressés y soient conviés. À plusieurs reprises, il a fallu forcer la main des autorités pour que les voyageurs puissent s’exprimer comme à Toulon ou Marseille. Dans plusieurs occasions, en méconnaissance de la loi et à la demande de maires, des procédures d’expulsion de caravanes ont été engagées. Nos interventions ont pu parfois éviter de tels abus de droit.

Plus grave encore, depuis quatre ans, les gouvernements successifs et le Parlement ont édicté de nouvelles règles qui viennent en grande partie vider la loi du 5 juillet 2000 de son sens. Les voyageurs sont plus que jamais considérés par les autorités comme des gens dangereux, vivant au crochet de la société. La criminalisation de ceux qui, classés comme SDF, refusent de s’arrêter, se confirme chaque jour. Notons cependant une lueur d’espoir avec les dernières déclarations de Madame BOUTIN, Ministre du logement, lors de la dernière réunion de la commission nationale des gens du voyage. Les bonnes intentions seront-elles suivies d’effet ? On notera également que, dans les Bouches-du-Rhône, le Préfet a répondu favorablement à notre demande en nous conviant à prendre part à un groupe de travail chargé de remettre à jour le schéma départemental d’accueil conformément à la loi.

La défense des droits, c’est celle aussi de citoyens confrontés à des réglementations complexes qu’ils connaissent mal et à des mises en cause souvent motivées par l’origine connue ou supposée des intéressés. Refus de stationner sur des terrains privés dont ils sont propriétaires, obstacles à l’acquisition de terrain, refus d’un branchement électrique, d’une simple clôture ou, plus grave encore, refus d’inscrire les enfants à l’école : tous les moyens sont bons pour dissuader les Tsiganes de
s’arrêter et encore moins de s’installer. Les lois et règlements dans ce domaine sont complexes et fluctuants en fonction d’un juge ou d’une région. Une part importante de notre activité au quotidien consiste à clarifier la situation, intervenir auprès des élus en leur rappelant la loi et parfois conseiller le recours à la justice. Dans ce dernier cas, le conseil d‘un avocat compétent s’avère indispensable et conduit très fréquemment à un succès. Nous savons aussi que les procédures judiciaires sont coûteuses et aléatoires et que bien peu d’avocats compétents acceptent de prendre en charge de tels dossiers.

Ce rôle de conseil juridique de notre association, parfois décevant, est cependant déterminant. Il permet aux Tsiganes, voyageurs ou sédentaires, qui s’adressent à nous de connaître leurs droits et, souvent, de retrouver confiance en la justice et aux règles de droit qui règlent la vie collective commune.

L’INFORMATION, LA COMMUNICATION, LA CULTURE.

Nous avons, depuis longtemps déjà, exprimé la conviction que l’une des raisons principales des préjugés et des conflits entre les Tsiganes et les Gadgés était due à l’ignorance réciproque des uns et des autres. Certes, on peut trop souvent encore constater des attitudes et des propos qui relèvent directement d’un racisme ordinaire (voir le préfet Girod de Langlade enfin condamné). Plus fréquemment, la méconnaissance ou les préjugés sont à l’origine de l’exclusion. C’est ce qui nous a conduit depuis 5 ans à privilégier, par tous les moyens, des actions d’information auprès de tous les publics.

Conférences de presse, communiqués, colloques, reportages et interviews télévisés, interventions dans les écoles et collèges, formations d’agents publics, site Internet, participation à des festivals et des fêtes, etc… Ce sont autant d’occasions de combattre quelques idées reçues et d’engager un vrai dialogue. Nous veillons tout particulièrement à ce que, dans chacune de ces manifestations publiques, la parole soit donnée aux intéressés eux-mêmes. Ce n’est pas toujours facile, car certains préfèrent rester dans l’ombre par modestie ou par crainte.

Parmi ces diverses interventions, il convient de donner une mention spéciale au film de Rolland COTTET « le droit de vivre » qui, depuis bientôt quatre ans, est un remarquable support de débats. Rappelons aussi la semaine tsigane que nous avons organisée en décembre 2004, la conférence internationale au Conseil Régional PACA en octobre 2006 et plus récemment, en octobre 2007, le festival TZIGANIA organisé par les étudiants aixois avec notre appui. Chaque fois que cela est possible, nous répondons aux demandes d’interventions lors de rencontres culturelles ou musicales dans la région (Briançon, Digne, Aubagne, Avignon, Aix-en-Provence etc…) ; Depuis quelque temps, il nous est demandé d’intervenir dans diverses formations : travailleurs sociaux, fonctionnaires, médecins, élèves ; ceci nécessite de notre part une solide préparation et la disponibilité de plusieurs membres. Après avoir été mis en difficulté lors d’une formation récente, nous avons cependant convenu de poursuivre dans cette voie en y associant, chaque fois que possible, des intervenants tsiganes. C’est ainsi que, dans le cadre du programme « actions éducatives en collèges » initié par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône, nous aurons à intervenir prochainement dans plusieurs collèges du département. Là encore la mobilisation de nos adhérents s’avère indispensable.

Mentionnons aussi le site Internet de notre association rencontrestsiganes.asso.fr. C’est aujourd’hui un moyen de communication indispensable. Depuis sa création fin 2005, il est visité par un nombre sans cesse croissant d’internautes : 32.000 visites depuis l’origine et un rythme actuel de 2000 visites par mois ; 400 correspondants reçoivent les nouveautés tous les quinze jours. De conception artisanale, il est tenu à jour régulièrement et mériterait un look plus attractif (on demande des volontaires compétents).

L’ACCES AU DROIT DES TSIGANES : UN CONSTAT ACCABLANT

Ce premier bilan, s’il n’est pas négligeable, ne doit cependant pas laisser croire à un quelconque satisfecit de notre part. Durant ces cinq dernières années, force est de constater que les conditions de vie des Tsiganes en France et dans notre région se sont largement dégradées. C’est ce même constat que faisaient récemment les participants au dixième anniversaire de l’Association des Gens du Voyage Catholiques (ANGVC) en constatant les nombreux reculs par rapport aux lois Besson de 1989 et 2000.

Dans la région Provence-Alpes-Côte-d’azur, le même constat s’applique : absence d’aires d’accueil et de grand passage, multiplication des menaces et des procédures d’expulsion vis-à-vis de voyageurs, opposition à toutes formes de sédentarisation, refus de branchements électriques et parfois même de scolarisation ; bref, pour les voyageurs comme pour nous, la loi Besson dans laquelle nous avions mis beaucoup d’espoir s’apparente à un leurre. On lira, pour plus de détails, le rapport soumis par Rencontres Tsiganes au préfet des Bouches-du-Rhône concernant l’évaluation du schéma départemental. Cette situation se retrouve avec quelques nuances dans les autres départements de la région. Un seul élément de satisfaction doit être noté : malgré le harcèlement des polices municipales et l’intimidation des maires, les procédures d’expulsion engagées ne sont pas toujours suivies par les tribunaux car les voyageurs ont compris qu’ils avaient intérêt à faire valoir leurs droits devant la justice. Par ailleurs, le recours à la force publique n’est accordé qu’exceptionnellement par les préfets conformément à la loi.

D’autres groupes de familles tsiganes subissent aussi dans la région cette dégradation de leurs conditions de vie. On évoque ici les nombreuses familles qui, s’étant résignées à la sédentarisation, n’ont pu trouver d’espace prévu pour leur stationnement et sont de moins en moins tolérées en limite des communes. On ne compte plus les multiples procès engagés contre elles pour non-respect des règlements d’urbanisme trop souvent abusifs ou discriminatoires ou encore les refus répétés et illégaux d’EDF de fournir l’électricité.

Un constat similaire doit être fait pour les familles qui, depuis longtemps sédentarisées, ont cherché à s’adapter à la société urbaine. S’il y a une trentaine d’années, les collectivités locales ont essayé, parfois avec succès, de proposer des modes d’habitat adapté, avec le temps, ces cités, mal gérées et mal entretenues, se sont avérées de véritables ghettos et des pièges pour les familles. Aujourd’hui dans les villes de la région, hormis deux ou trois cas, ces lieux de relégation sont destinés à la démolition sans que, la plupart du temps, aucune solution de remplacement ne soit proposée aux familles.

Pour conclure ce constat accablant, on ne saurait oublier ici le sort réservé aux familles de Rroms issues des pays d’Europe de l’Est et en particulier de l’ex-Yougoslavie mais aussi de la Roumanie et de la Bulgarie. Nous avons conscience que le rapprochement souvent hasardeux fait par certains, entre ces nouveaux arrivants et les Tsiganes français n’est pas judicieux. Toutefois les uns comme les autres peuvent revendiquer, au moins en partie, une histoire et une culture communes. L’Union Européenne, le Conseil de l’Europe ou encore les instances de l’ONU rappellent régulièrement aux Etats leurs devoirs vis-à-vis de cette minorité européenne régulièrement menacée, discriminée et exclue des droits élémentaires.

Rencontres Tsiganes a, dés l’origine, pris position pour la défense de cette catégorie d’exclus. Après des années de silence coupable de la part des pouvoirs publics, la situation de ces personnes devient scandaleuse et des premiers signes d’ouverture apparaissent que nous suivons avec attention dans le cadre d’un comité, avec notamment Médecins du Monde, la Cimade, la Fondation Abbé Pierre et la LDH. Ce comité intervient en liaison avec le collectif national Romeurope.

LES PERSPECTIVES

À travers ce qui précède, on aura constaté la faiblesse des moyens de notre association face aux enjeux à affronter. Les limites de notre projet associatif sont communes à bien d’autres groupements similaires : disponibilités des adhérents, faiblesse des moyens d’actions, reconnaissance de la part des institutions, risque de dispersion des tâches, difficultés du débat et de la décision collective, etc.. Pour Rencontres Tsiganes, ces limites et ces contraintes sont amplifiées par le décalage considérable entre le droit commun, l’affirmation de l’égalité de tous les citoyens devant la loi et les pratiques permanentes d‘exclusion, de discrimination et de rejet alimentées par des préjugés ancestraux empreints de xénophobie et racisme.

Ce constat ne saurait cependant nous démobiliser mais plutôt nous conduire à plus de conviction et d’efficacité dans notre action. Quatre pistes de travail sont donc proposées pour les prochains mois :

Le fonctionnement et l’organisation de l’association.

Au-delà des adhérents, c’est aujourd’hui une trentaine de personnes qui, à divers titres, jouent un rôle actif sans nécessairement prendre part à toutes nos initiatives. Les contraintes de temps pour les actifs et parfois de santé pour les retraités rendent nécessaires d’élargir ce nombre pour faire face aux engagements qui nous attendent dans la région. Nous n’avons pas la prétention d’être les seuls à agir dans ce domaine et nous chercherons à associer à nos projets les autres organismes ou associations qui partagent nos objectifs. C’est ainsi que, dans le Var, nous cherchons à poursuivre les premières démarches rassemblant quelques personnes et associations locales permettant de répondre sur place aux multiples difficultés dont nous sommes saisis. Une même démarche pourrait voir le jour dans le Vaucluse et les Alpes-Maritimes, département où la situation de Tsiganes est particulièrement critique.

Plusieurs groupes de travail doivent être davantage renforcés pour mener à bien les projets.

1° L’enquête sur les sédentaires à Marseille puis dans la région : après un certain retard, ce travail prend forme et devrait aboutir l’année prochaine sur un document et une manifestation impliquant directement les intéressés.

2° La remise à jour des schémas départementaux d’accueil. Nous sommes attendus par les services de l’Etat dans les Bouches-du-Rhône et certains maires pour faire des propositions constructives tant sur la réalisation des aires d’accueil que sur leur gestion. Il conviendrait qu’une même démarche soit engagée dans les autres départements.

3° La formation, l’information. Les demandes se multiplient auxquelles il serait regrettable de ne pas répondre faute de disponibilités et de moyens.

4° La culture et la fête. Plusieurs sollicitations nous sont faites et notamment par le BADABOUM Théâtre, à Marseille, qui avec d’autres institutions propose un ambitieux programme pour le printemps prochain.

5° Les Rroms migrants à Marseille et dans la région. La présence de ces familles, en nombre croissant dans la région, justifie de notre part, au-delà de l’urgence humanitaire, une connaissance, une information et une attention soutenue de leurs motivations et du respect de leurs droits.

Ces différentes priorités ne doivent pas nous dispenser d’une réflexion collective sur l’attitude de nos concitoyens vis-à-vis d’une minorité certes modeste et peu organisée. La résistance historique à l’assimilation du peuple tsigane pour défendre, malgré l’adversité, sa culture et son mode de vie, doit nous interroger sur les atouts d’une société multiculturelle qui accepterait de s’enrichir des différences au-delà des mots et des discours.

Marseille le 15/11/2007


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