Les Gitans en Espagne

{{{En Espagne, les Gitanes redressent la tête}}}
LE FIGARO De notre envoyée spéciale à Séville DIANE CAMBON.
Publié le 04 décembre 2006

Présente en Espagne depuis le XVe siècle, la communauté tzigane – la plus importante hors d’Europe de l’Est, avec 650 000 membres – n’a jamais pu trouver sa place dans la société ibérique. Sous Franco, le Code civil faisait des Gitans des suspects potentiels. Les préjugés restent tenaces, mais leur avenir passe sans doute par les femmes, qui ont décidé de se prendre en main pour sortir de leur ghetto.

Les rues en asphalte défoncé, où cohabitent chiens errants et gamins en souillon, sont jonchées de détritus. En guise de logements, des maisons en préfabriqués pour les plus chanceux, ou des cabanes improvisées en tôle ondulée. Sur les trottoirs s’accumulent vieille ferraille et appareils électroménagers éventrés. Bienvenue au Vacie, le plus grand et plus ancien bidonville gitan d’Europe. Situé dans la banlieue sud de Séville, en Andalousie où vit la moitié de la communauté tzigane d’Espagne, ce quartier coupé de la civilisation s’étale sur deux kilomètres et abrite près de deux cents familles. Seule lumière d’espoir, la garderie où sont éduqués et nourris les plus jeunes. Cette crèche de fortune a vu le jour en 2003, grâce à la détermination d’associations de femmes qui militent pour l’émancipation des Gitanes. Assis devant sa baraque, Angel Montoya est l’un des rares hommes à les encourager à voler de leurs propres ailes. « Moi, je me suis marié avec une Paya (non-Gitane), et j’invite mes filles à ne pas prendre d’époux avant l’âge de 20 ans », assure-t-il, sous le regard admiratif de son épouse.

S’il est encore trop tôt pour parler de révolution des moeurs, un réveil de la gent féminine calé (gitane) est manifeste. La vocation traditionnelle des épouses, l’éducation d’une ribambelle d’enfants, n’est plus suivie à la lettre. L’accès à l’école et le contrôle des naissances permettent peu à peu aux filles de modifier leurs comportements. Et ni l’indifférence de la société espagnole ni les reproches de certains hommes du clan ne semblent pouvoir freiner l’élan de ces femmes réunies dans des dizaines d’associations dispersées dans le pays. Tout en respectant leurs traditions et leur culture, elles aspirent à entrer de plain-pied dans la société moderne, où le rôle de la femme n’est plus seulement celui d’une mère. Le 24 novembre, elles ont organisé le premier Sommet des femmes gitanes à Grenade. Fatima, belle brune aux boucles en cascade, assure être « très en retard » par rapport à sa mère, qui a eu son premier fils à 14 ans. Vêtue d’une longue jupe noire et parée de bijoux en or, elle vient, à 17 ans, d’accoucher de son premier enfant. Contrairement à ses aînées, elle ne veut que quatre enfants, cinq de moins que sa mère. Sur le perron de sa maisonnette blanche, construite récemment par les autorités andalouses, Fatima explique qu’elle désire avant tout reprendre les cours dispensés par Carmen, éducatrice de Fakali, association située dans le centre de Séville.

Comme la plupart des mères, Fatima ira avec son bébé aux ateliers « Auto estime » et « Choisis pour toi ». En fait, des leçons d’alphabétisation et de mathématiques de niveau primaire. « Notre objectif est de leur montrer qu’il existe une vie en dehors du quartier et qu’elles ont droit à l’éducation et à la santé, comme tout citoyen espagnol », expose Carmen. Selon le Centre de recherche sociologique espagnol, 40 % des Tziganes ne savent ni lire ni écrire, contre 80 % en 1977. « La majorité de la jeune génération a été à l’école au moins jusqu’à 12 ans, mais seulement 30 % d’entre eux arrivent au bac », explique Carmen. L’échec scolaire est souvent lié, pour les garçons, à l’obligation d’aller travailler ; pour les filles, à leur devoir d’être femme et mère.

Pour les associations de défense des Gitanes, cette dernière raison est maintenant inacceptable. Dans son bureau de l’Institut de la femme, à Madrid, Pilar Heredia se bat pour faire évoluer les mentalités. Elle incarne, à elle seule, la réussite des femmes rom. À la tête de l’association Yerbabuena, cette madone de 42 ans, mère de quatre enfants, est depuis le mois de juin la première Gitane à occuper un poste institutionnel. Elle a été nommée par le ministère des Affaires sociales. « Je sers de pont entre l’administration et ma communauté, j’essaye de faire tomber les clichés de part et d’autre », déclare-t-elle. Parmi ses objectifs : faire comprendre aux Gitans – 50 % ont moins de 16 ans – l’importance de l’éducation, devenue obligatoire depuis seulement deux décennies en Espagne. « Beaucoup refusent que leurs enfants aillent à l’école, de crainte de les voir se marier avec un Payo », observe-t-elle, en dénonçant aussi les barrières sociales qui démotivent les jeunes. Et de poursuivre avec fougue : « Les Gitans, surtout les femmes, doivent se battre sur deux fronts : chez les leurs pour s’émanciper ; dans la société, pour s’imposer. » « Si on veut s’en sortir, il faut ignorer le regard des autres », affirme Angela, 28 ans, qui sait désormais lire et écrire. Célibataire, sans enfant, elle souhaite créer sa société de vêtements. « Je veux démonter les préjugés », dit-elle, dans un andalou langoureux. Ambitieux : la communauté reste la minorité la plus mal vue d’Espagne. Mais l’espoir grandit : 80 % des mille Tziganes inscrits à l’université sont des femmes. « Toutes les Gitanes ne sont pas des danseuses de flamenco, des diseuses de bonne aventure ou des voleuses de poules », s’amuse Pilar Heredia.


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