A Saint Etienne aussi la municipalité a engagé la chasse aux Roms

{{{
A Saint-Etienne, les Roms s’expulsent à la pelleteuse}}}
Par Olivier BERTRAND
Vendredi 4 août 2006 – 06:00
Saint-Etienne envoyé spécial

Du pied, Aron-Ilic, 29 ans, retourne des objets cassés dans les cendres de sa baraque. Rom roumain, il vivait depuis quelques semaines sur un terrain vague adossé à un crassier, dans le quartier du Clapier, à Saint-Etienne (Loire). Lorsque les mines étaient en activité, le charbon était trié et nettoyé là. A présent, la mairie projette d’installer un parc urbain d’une douzaine d’hectares, à l’horizon 2009. C’est sur ce terrain abandonné que 60 à 70 Roms roumains squattaient depuis un an. Le 22 mai, la ville avait obtenu une ordonnance d’expulsion. Mardi 25 juillet, la police a débarqué pour détruire toutes les baraques, les caravanes, sans laisser le temps à leurs occupants de les vider de leurs effets personnels. En une matinée, le village précaire est devenu un champ de ruines.
«Ils sont arrivés vers 6 heures, raconte Aron-Ilic, le seul à bien parler le français. Ils nous ont dit qu’on avait cinq minutes pour partir, qu’on devait emporter tout ce qu’on pouvait. Trois policiers sont restés devant la porte de la baraque. On s’est habillé, on a fait nos bagages en vitesse. Quand vous avez cinq minutes, vous prenez quoi ? J’ai ramassé le plus important. Les papiers et quelques vêtements pour mon fils.» Il vivait là avec sa femme et son garçon, âgé de 5 ans.
Secteur bouclé. Les agents ont fait sortir les habitants d’une vingtaine de caravanes et autant de baraques. Ils ont aussi délogé les occupants d’une grosse maison adossée à la falaise. Puis ils ont regroupé les Roms sur un côté du terrain, avec interdiction de quitter le camp, pour qu’ils n’alertent pas les associations qui travaillent habituellement avec eux. L’un d’entre eux a quand même réussi à envoyer un texto.
«Dès que j’ai été prévenu, raconte Freddy Gioia, militant stéphanois, j’ai sauté de mon lit, attrapé un appareil photo, et j’ai foncé. Ils avaient bouclé tout le secteur, mais je connais bien le coin et je me suis faufilé. Je suis monté sur la ligne de chemin de fer qui surplombe le terrain et j’ai pu prendre des photos, juste au moment où les bulldozers entraient en action.»
Devant les habitants, les grosses pelles ont soulevé les caravanes, puis les ont relâchées, jusqu’à ce qu’elles se disloquent. Le mobilier a été démoli à coups de godet, comme tout ce qui se trouvait à l’intérieur. La nourriture, les matelas, parfois quelques meubles, un frigo, une cuisinière. Un homme, soigné pour des problèmes cardiaques, y avait laissé ordonnance et médicaments. Un autre, diabétique, des flacons d’insuline. «Ils ont eu le temps de récupérer leurs affaires avant de vider les lieux, assure le cabinet du maire de Saint-Etienne, Michel Thiollière (UMP radical). Ils savaient depuis la visite d’un huissier, le 1er juin, qu’ils pouvaient être expulsés à tout moment.»
Dans les jours suivant l’expulsion, des habitants du quartier sont venus se servir parmi les restes. Puis quelqu’un a mis le feu aux débris amassés. Dans les cendres, Aron-Ilic montre la vaisselle cassée, les restes d’une cafetière électrique. Il hausse les épaules et demande, calmement : «Nous n’avons pas grand-chose, pourquoi nous détruire ça ? Nous n’avons pas choisi d’être Roms. Pourquoi nous traite-t-on comme des animaux ?»
La mairie répond qu’elle avait prévu la fourrière pour enlever les caravanes. «Mais quand on ne peut pas les déplacer, on n’a pas d’autre choix que de les détruire, pour éviter toute réinstallation» , indique le cabinet du maire. Des militants associatifs affirment que des caravanes avaient déjà été brûlées, il y a quelques mois, sur ce même terrain.
Au total, deux à trois cents Roms roumains vivent sur l’agglomération stéphanoise, où deux autres squats ont été délogés, le 26 juillet. Parmi les occupants du terrain du Clapier, quelques-uns avaient obtenu un titre de séjour en temps qu’étrangers malades, quelques autres étaient demandeurs d’asile, la grande majorité multipliait les déplacements pendulaires, avec des visas de tourisme qu’il faut renouveler en Roumanie tous les trois mois. La plupart gagnent peu d’argent en France, mais c’est toujours plus qu’au pays. Au Clapier, certains faisaient la manche, vendaient des journaux, travaillaient au noir ou se débrouillaient autrement. Aron-Ilic avait ainsi acheté plusieurs kilos de montres en toc, à revendre dans la rue. Le bulldozer les a écrasées.
Après les destructions, les Roms ont dormi deux nuits de suite dans un square du centre-ville, entre la mairie et la préfecture. Des associations les accompagnaient, puis elles ont décidé, compte tenu de la canicule, de squatter un bâtiment laissé vide par EDF. De vastes locaux techniques, transformés en chambres assez fraîches. Sur les portes des douches et des WC, des noms écrits en roumain indiquent le tour de rôle pour le ménage.
«Ras-le-bol». Les militants de différentes associations se relaient pour dormir sur place. Il y a le DAL (Droit au logement), mais aussi la Croix-Rouge, le Secours populaire, Emmaüs… Des cours croisés de français et de roumain doivent être organisés. «D’ordinaire , raconte Marie-Pierre Vincent, photographe et membre du collectif stéphanois Tous les chemins mènent aux Roms, ces populations sont très assistées. Là, il semble qu’il y a un ras-le-bol, et certains se mobilisent à nos côtés.»
Des militants associatifs demandent la scolarisation des enfants et le relogement de tout le monde «dans les milliers de logements vide de l’agglomération» . La municipalité répond qu’elle est prête à envisager des hébergements d’urgence pour les familles avec enfants et les malades. «En attendant, glisse une porte-parole de la mairie, on n’a pas de crise humanitaire. Il y a l’eau, l’électricité. A la limite, ils sont mieux ici que là où ils étaient . »

http://www.liberation.fr/actualite/societe/197036.FR.php


Publié

dans

par

Étiquettes :