Communauté, communautarisme : des mots piégés ?

La communauté est un concept du droit qui désigne un groupe de personnes qui partagent en commun un certain nombre de valeurs de croyance, d’histoire ou de mode de vie. Reconnaître appartenir à une communauté, c’est en accepter librement, au moins en partie, les règles ; c’est partager avec ses membres des moments de solidarité, de joies et de peines ; c’est accepter, en cas de besoin de défendre collectivement les valeurs communes lorsqu’elles sont remisent en cause. De la communauté familiale ou villageoise plus ou moins élargie à la communauté nationale voir internationale sinon humaine, toutes les formes et les dimensions sont reconnues et perçues, en général comme un facteur positif permettant d’assurer le vivre ensemble.

Un glissement sémantique conduit trop fréquemment de la communauté au communautarisme. Ce dernier terme est critiqué pour son usage jugé tendancieux pouvant servir à légitimer un discours raciste : le « communautariste », c’est toujours l’autre, une figure pathologique composite pointée du doigt comme une sorte d’ennemi de la nation5 Le communautarisme est un terme polémique utilisé en France pour qualifier l’attitude ou, plus généralement, le mode de vie d’une communauté minoritaire devant lesquels les idéaux républicains, égalitaires et laïcs devraient s’effacer au nom d’un droit à la différence revendiqué par ces mêmes minorités.

Voilà des années que nous ne cessons de dénoncer cette dérive concernant les Roms/Tsiganes et plus spécialement les gens du voyage. Relayés par la presse et les médias, les services de police rendent compte d’actes de délinquance plus ou moins graves et utilisent régulièrement l’expression : « issus de la communauté des gens du voyage » pour désigner les éventuels acteurs de ces méfaits. Ils confortent ainsi aux yeux de l’opinion les stéréotypes les plus éculés sur le comportement supposé criminogène d’une communauté. Il y aurait donc deux catégories d’appartenances communautaires : les unes considérées comme compatibles avec les lois de la République et utile au maintien de la cohésion nationale, les autres atteintes de dérives sectaires et dangereuses pour l’unité nationale.

Cette approche simplificatrice relève d’une double erreur lorsqu’elle concerne la communauté des gens du voyage. Une rapide analyse en effet montre qu’il n’y pas une communauté de « gens du voyage » mais une grande diversité de groupes humains qui même s’ils partagent quelques valeurs ou histoire commune, revendiquent des comportements et une façon de vivre parfois forts éloignés. Même si certains d’entre eux ont, lors d’un Congrès à Londres en 1970 décidé d’un nom, d’une langue, d’un hymne et d’un drapeau commun, cette volonté unificatrice n’a pas trouvé, cinquante ans après, le succès attendu. De même une communauté établie suppose une organisation et une représentativité reconnue. La très grande diversité des groupes de Roms/Tsiganes rend illusoire en France mais aussi en Europe la recherche d’un interlocuteur unique. La tentative intéressante des institutions européennes de construire un Forum Européen des Roms demeure aujourd’hui encore modeste.

La France a adopté depuis un siècle une démarche parfaitement contradictoire avec les principes constitutionnels en adoptant des lois et règlements propres à cette supposée communauté, lui donnant un nom (Gens du voyage) et un statut qui pourraient enfermer ses membres dans une dérive communautaire par ailleurs condamnés. Tous ceux qui connaissent ces familles savent heureusement que, au-delà du droit à la reconnaissance d’une culture et d’une histoire propre, ces hommes et ces femmes acceptent sinon revendiquent des idéaux républicains et laïques du pays qui les accueille.

Dés lors, pour reprendre l’expression proposée par de Jean-Pierre Liégeois, il convient, lorsque l’on désigne les Roms/Tsiganes, d’adopter le pluriel en parlant des communautés dans leurs diversités et leur multiplicité à l’image d’une mosaïque ou encore d’un kaléidoscope. Ces « communautés », pour peu qu’elles soient acceptées dans leurs diversités et leurs richesses humaines et culturelles, constituent une part incontournable de notre avenir commun.

 

Alain FOUREST

Marseille, le 5 février 2015


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