Une politique municipale de la ‘race’ ?

C’est le sous-titre du livre qu’Eric Fassin et Aurélie Windels sont venus présenter à Marseille à l’initiative de Rencontres Tsiganes. Les auteurs ont pris le risque d’utiliser un terme qui est aujourd’hui banni. L’emploi du mot ‘race’ pour désigner une politique locale de stigmatisation et de rejet des Roms a le mérite d’éviter les euphémismes généralement employés pour désigner cette population d’exilés volontaires. La ‘race’ est un concept datant de la fin du XIXème siècle, fondé sur des supposées différenciations génétiques qui a été remis en cause par l’ensemble des scientifiques dans les années 1920 puis définitivement condamné par les défenseurs des droits de l’homme. Aujourd’hui, son emploi pour désigner tel pou tel groupe humain est juridiquement exclu en France et en Europe. Pourtant si le mot est banni du langage officiel, le concept qu’il désigne est encore partagé par nombre de nos concitoyens et pas seulement ceux qui se revendiquent d’extrême droite.

Dans son propos Eric Fassin constate que, la manière dont sont traités les quelques milliers de familles de la communauté culturelle rom, relève d’une politique ségrégative qui se réfère au concept de ‘race’ tel que défini à l’origine. Ces personnes sont en effet majoritairement considérées comme incapables de s’intégrer à la société contemporaine en raison de leurs moeurs et de comportements considérés inacceptables pour la société d’accueil : nomadisme, délinquance, mendicité, exploitation des femmes et des enfants, absence d’hygiène, autant de caractères qui semblent récurrents de la part des membres de cette communauté. Si, pour partie, ces comportements, parfois constatés sont contraires aux ‘bonnes moeurs’, le fait d’en généraliser l’application à tout un groupe humain relève bien du racisme.

C’est pourtant l’essentiel des discours politiques régulièrement entendus depuis plusieurs années et officialisés à Grenoble par Nicolas Sarkozy en 2010 puis repris en 2012 par le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Depuis quelque temps, le gouvernement tente de reporter la responsabilité de ce dossier encombrant sur les collectivités locales. Les élus locaux, de droite comme de gauche, à de rares exceptions, ont repris sans nuances et sans scrupules, les théories différentialistes pour ne pas dire racistes appliquées à ces populations jugées ‘non intégrables’. La stratégie dite du ‘chien crevé au fil de l’eau’ qui n’offre d’autre solution à ces exilés économiques que le bidonville et la débrouille est délibérée. Elle confirme aux électeurs de tout bord qu’il y a urgence à ce que ces ‘gens-là’ retournent dans leur pays .

Alors, que faire ?
Après réflexion collective sur l’utilisation d’une dénomination jugée stigmatisante il a été recommandé d’éviter d’employer le qualificatif ‘Rom’ pour nommer ces familles. Ce sont des familles étrangères européennes et le plus souvent de nationalité roumaine qui vivent dans des bidonvilles faute de conditions d’accueil plus humaines en effet. Cette circonlocution pas toujours convaincante et efficace a au moins le mérite de mettre en lumière les obstacles réels auxquels elles se heurtent pour accéder à une vie normale. Dénoncer ces conditions et faire valoir leurs droits de citoyens européens sans nier l’appartenance à telle ou telle culture, est une démarche prioritaire.

Il est tout aussi nécessaire de dénoncer et poursuivre sans relâche les propos à caractère raciste utilisés à l’encontre de ces familles. L’accès à la justice est parfois hasardeux mais il est indispensable de lutter contre une forme croissante de banalisation du discours à caractère explicitement raciste. L’antitsiganisme comme l’antisémitisme, même combat !

Alain FOUREST
Marseille le 4 juin 2014


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