Le préfet Régnier : « Les tensions envers les Roms sont plus vives en France qu’ailleurs »

« Les tensions envers les Roms sont plus vives en France qu’ailleurs »

30 juillet 2013 à 07:27  Libération

interview

Le 30 juillet 2010, Sarkozy prononçait à Grenoble un des discours les plus sécuritaires de son quinquennat. Et ciblait notamment les Roms. Que s’est-il passé en trois ans ? Le point avec Alain Régnier, « préfet des Roms ».Recueilli par Marie Piquemal

C’était le 30 juillet 2010. A Grenoble, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, tenait un discours ultrasécuritaire, alpaguant Roms et gens du voyage, deux populations mises dans le même sac et assimilées à des délinquants. Les associations mesurent chaque jour les dégâts de ce discours venant du plus haut sommet de l’Etat, qui a libéré la parole et les propos haineux.
L’année dernière, lors du changement de majorité, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé un changement de braquet : il a adopté la circulaire du 26 août 2012 censée mettre fin aux évacuations sans solution de relogement. Et a confié, dans la foulée, au préfet Alain Régnier la coordination de l’accompagnement des Roms en France. Bilan.

Depuis le discours de Grenoble de Sarkozy, il y a trois ans, la politique de la France envers les Roms a-t-elle réellement changé ?

La France est le seul pays européen à avoir mis en place une vraie politique interministérielle pour l’accompagnement des Roms, avec une équipe de cinq personnes à temps plein. Bien évidemment, les choses ne vont pas changer d’un coup de baguette magique. C’est un dossier sensible, c’est certainement la mission la plus difficile que j’ai eu à accomplir de toute ma carrière. Mais petits pas par petits pas, nous faisons bouger les lignes.

La circulaire du 26 août 2012 devait permettre d’en finir avec les évacuations abruptes de campements illicites en proposant autant que possible des solutions de relogement. Mais, les associations, enthousiastes au départ, dénoncent le décalage entre le texte et la réalité de terrain. Que répondez-vous ?

C’est une circulaire exigeante et complexe. Elle est appliquée de manière inégale, c’est un fait. On ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle, évidemment. Malgré tout, les lignes ont commencé à bouger. On n’est loin d’être au bout du chemin mais c’est un début. Je ne veux pas faire l’inventaire des municipalités qui appliquent parfaitement la circulaire et des mauvais élèves. Cela n’a pas d’intérêt. Je réunis tous les trois mois les correspondants de chaque département chargés du dossier. Il y a un réel problème en Ile-de-France, où vivent la moitié des Roms migrants. J’ai demandé que le préfet de région nomme un directeur de projet « campement » pour mieux anticiper et accompagner les opérations d’évacuation.

Ne faudrait-il pas une loi pour contraindre les maires récalcitrants ?

Bien sûr, une circulaire n’a pas force de loi mais celle-ci a quand même été signée par sept ministres. C’est peu fréquent dans le monde des circulaires, ce n’est pas rien. Après les municipales, je souhaite que les communes s’engagent dans des conventions de trois ans liant l’Etat, les conseils généraux, les acteurs associatifs et les métropoles. Je crois beaucoup plus en la démarche contractuelle que coercitive.

Les associations réclament depuis des années la levée des mesures transitoires qui limitent l’accès au marché du travail des Roumains et Bulgares. Pourquoi ne pas les écouter ?

La période transitoire s’achève le 31 décembre, il ne reste que quelques mois. Pour moi, ce n’est pas la clé du problème. Pas plus d’un quart des Roms vivant sur notre territoire maîtrisent le français. On travaille avec des associations pour développer les cours d’alphabétisation et de langue française. Pour les plus jeunes, il faut favoriser l’accès à l’école. Scolariser tous les enfants, c’est ma priorité.

Comment un enfant peut-il aller à l’école quand il est forcé de changer de lieu de vie trente ou quarante fois dans l’année à cause des évacuations répétées de campement, comme le déplorent les associations ?

Il faut poser la question à Manuel Valls.

Comment expliquer qu’un pays comme la France ne parvienne pas à intégrer cette population de Roms, pourtant pas si nombreuse…

Il y a environ 20 000 Roms migrants sur notre territoire. C’est beaucoup moins que chez nos voisins européens, c’est vrai. Pourtant, les tensions sont bien plus vives chez nous, qu’ailleurs. Il y a quelque chose dans l’amplitude, la violence de l’expression qui est assez singulier à la France. Je ne sais pas l’expliquer.

On vous appelle le préfet des Roms…

La mission que m’a confiée le Premier ministre ne vise pas une communauté de personnes mais porte sur le mal-logement, avec l’objectif d’éradiquer les bidonvilles. Même si dans les faits, ce sont surtout des Roms migrants venant de Roumanie et de Bulgarie qui vivent dans les bidonvilles. Prendre le problème sous cet angle permet d’apaiser les tensions. On évite ainsi de stigmatiser une population.
Cela peut paraître anecdotique mais pourtant ce n’est pas une simple histoire de vocabulaire. C’est même mon premier défi : combattre les fausses représentations, les amalgames et les discriminations. Je passe mon temps à répéter que non, les Roms migrants ne sont pas des gens du voyage même s’il y a des traits communs dans les problèmes qu’ils rencontrent : l’accès au logement, à l’école, à l’emploi. Les ressemblances s’arrêtent là. Les gens du voyage sont des citoyens français alors que les Roms migrants sont des étrangers, européens pour la plupart (Roumains, Bulgares) mais aussi Kosovars. Ce travail de pédagogie sur le langage est essentiel. Ça peut paraître vain dans une société marquée par les peurs. Surtout à l’approche des municipales, qui va amener du débat public. En même temps, ce ne sera jamais le bon moment. Autant ne pas attendre plus longtemps et commencer ce travail dès maintenant.

Comment ?

On prépare des actions très concrètes de communication avec des spots de pubs, des affiches… On est aussi en lien avec l’Education nationale. Je souhaiterais qu’on raconte un peu plus aux enfants l’histoire douloureuse du peuple tsigane, exterminé dans les camps nazis, esclave jusqu’au milieu du XIXe siècle en Roumanie. Les livres d’histoire ne contiennent qu’une ligne aujourd’hui. Il en faut plus. On essaie aussi de valoriser les récits de vies réussies pour sortir de cette image « Rom égale nul ». Je crois beaucoup en la dimension culturelle comme levier d’action.

Est-ce-que vous menez aussi des actions directement en Roumanie ?

Nous avons engagé un processus bilatéral avec la Roumanie, d’où viennent la plupart des Roms migrants vivant en France. Quand on les interroge, beaucoup préfèreraient, si les conditions le leur permettaient, retourner vivre là où ils ont grandi.
On ne peut pas être dans une seule posture : ni chercher à intégrer tout le monde en France ni les mettre tous à la porte. Nous avons supprimé l’aide au retour volontaire qui était inefficace. Et nous avons entrepris des transferts d’ingénierie publique. On les aide à monter des projets d’insertion. Si on veut changer la donne en France, il faut travailler main dans la main avec la Roumanie et la Bulgarie.

Avec quels financements ?

Ce n’est pas l’argent qui manque. Il y a par exemple le Fonds social européen qui met à disposition des milliards d’euros, pas dépensés aujourd’hui. La Roumanie a du mal à mobiliser cet argent, seuls 10% sont utilisés. On mène tout un travail de fond avec eux pour les aider. Ce n’est pas visible, souvent masqué par les évacuations. Pourtant, l’enjeu est central. Pour la France, mais aussi pour l’Union européenne, l’enjeu est démocratique : la citoyenneté européenne prendrait tout son sens.

Alain Régnier est préfet délégué à la coordination de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans abri.


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