Pourquoi les Roms quittent-ils la Roumanie ?
Manon Duret
18/06/2013
Ils sont nombreux à quitter la Roumanie et la Bulgarie pour venir tenter leur chance en France. Le Journal International a interviewé des Roms de Lyon, originaires de Roumanie, sur les raisons de leur départ.
Des Roms expulsés manifestent / Crédits : AFP / Miguel Medina
On parle beaucoup (trop ?) de ces migrants de l’est de l’Europe qui viennent en France, et en particulier des Roms. L’incompréhension domine quant à leurs motivations. Pourquoi quittent-ils leurs pays alors que les conditions de vie en France de la plupart d’entre eux sont loin d’être réjouissantes ? Et pourquoi de nouveaux arrivants continuent d’affluer malgré les lois discriminatoires et les expulsions médiatisées ? Ces questions peuvent être posées à de nombreux migrants sur tous les continents. A ceux qui s’arrachent à leur terre dans l’espoir d’une vie meilleure et se heurtent à une vie difficile, dans des pays rarement ravis de les accueillir. A ceux qui continuent à venir malgré tout. On connaît l’histoire de ces immigrés maghrébins qui rentrent au bled pour les vacances et n’arrivent pas à convaincre leurs voisins, candidats à l’immigration, des difficultés qu’ils rencontrent ici en France. Il y a un fossé entre la France rêvée et la réalité.
Nous avons demandé à Maria (tous les prénoms ont été modifiés), une Rom originaire d’un petit village de Roumanie, à la frontière hongroise, ce qui l’avait poussé à venir en France plutôt que dans un autre pays d’Europe. Embarrassée, elle nous dit qu’elle ne sait pas bien. Pour elle, personne ne sait vraiment pourquoi, mais « tout le monde parle de la France ». Comme un leitmotiv dont personne ne connaitrait l’origine. Quelques années auparavant, les migrants seraient sans doute partis pour la RDA, mais la situation a changé. Elle a vu beaucoup de Roms partir pour la France, jamais pour l’Allemagne ou l’Italie. Parce qu’on dit qu’en France, « il y a des droits ». Peut-être aussi parce qu’ils ont tous appris un peu de français à l’école, même si ce n’est pas suffisant pour se débrouiller. Dans son village d’origine, il n’y a presque plus de Roms, « ils sont tous partis maintenant, en France ou dans d’autres régions de Roumanie ». Ces départs massifs sonnent comme la conséquence d’une situation déplorable et alarmante des Roms dans certaines régions de Roumanie.
Si le choix de la France n’a pas été véritablement délibéré, la décision de l’émigration est en revanche motivée par de nombreux facteurs. « En Roumanie, il n’y a pas de travail, pas d’école pour les enfants, pas de droits sociaux » résume Georges, un Rom installé en France depuis 2010. La destination importait finalement moins que le départ pour eux. Il fallait partir, sortir de l’ornière, « pour que les enfants aient une autre vie ».
La scolarisation : un moteur de l’émigration
L’avenir des enfants. Ce souci pousse de nombreux parents à choisir l’émigration à en croire les témoignages. « Je suis venu ici parce qu’en Roumanie c’est la misère, et surtout parce qu’ici mon fils peut aller à l’école », nous dit Georges. Si l’école est obligatoire de 6 à 15 ans, en Roumanie, les Roms rencontrent parfois des difficultés à y inscrire leurs enfants. Maria nous raconte qu’on lui a souvent dit que la classe était déjà pleine, qu’il n’y avait plus de chaises libres pour ses enfants. « En France, les maitresses sont gentilles », nous dit Georges, soulignant la discrimination que certains ont pu subir là-bas. Selon le recensement roumain de 2002, les Roms (se reconnaissant comme tels) étaient alors six fois moins scolarisés que la moyenne nationale. Si plusieurs facteurs rentrent en jeu dans cette faible scolarisation, et que les disparités sont grandes entre les régions et les groupes sociaux, on ne peut nier ce défaut de scolarisation qui pèse sur les parents. Ils ne veulent pas que leurs enfants rencontrent les mêmes difficultés qu’eux à l’âge adulte.
« Je travaillais, mais je ne gagnais rien »
L’absence de perspective professionnelle est l’autre cause de départ avancée par les Roms interrogés. « En Roumanie, c’est la misère », « c’est la catastrophe ». Au-delà de ce constat sans appel, le problème n’est pas tant l’absence de travail, que l’absence de revenus. Maria nous explique qu’après avoir obtenu l’équivalent du baccalauréat, elle a travaillé comme vendeuse, mais son salaire était insuffisant pour vivre décemment. Partir, c’est pour beaucoup tenter la promotion sociale par le travail, sortir d’une situation sans avenir. Une solution envisagée également par de nombreux Roumains, non Roms. Le taux d’émigration roumaine vers les pays d’Europe de l’Ouest, des plus élevés de l’UE, est le même pour les Roms et les non-Roms selon les chiffres nationaux.
Quand corruption et discrimination vont de paire
Outre l’émigration économique, qui n’est pas propre aux Roms, il y a la question du rejet de cette minorité. Les Roms souffrent de discriminations diverses, au travail, à l’école et surtout dans l’administration, selon Maria : « Les Roms sont mal vus partout, à la mairie par exemple, il faut toujours faire la queue plus longtemps, chez le médecin, l’avocat. On te parle mal, on ne te respecte pas ». Mais elle nuance aussitôt son propos : « en fait, quand on est pauvre, on est mal vu en Roumanie. Il faut toujours donner de l’argent, et si tu n’en as pas, tu n’es pas respecté ». Une démarche peut trainer en longueur si elle n’est agrémentée d’un bakchich. Maria dénonce une discrimination économique au quotidien, qui empêche certaines catégories de Roumains, les plus pauvres et en particulier les Roms, d’accéder à des services fondamentaux.
Répartition des 619 007 Roms de Roumanie (3,25 % de la population)
L’avant et l’après Ceausescu
Les discriminations envers les Roms ont-elles augmenté depuis la fin du régime communiste, expliquant l’émigration massive de cette population ces dernières années ? On a pu parler de la recrudescence de la haine envers les Roms avec la chute de Ceausescu en raison des privilèges dont ils auraient bénéficié pendant la période de Ceausescu. Les Roms se sont effectivement vu allouer des maisons, un salaire minimum et des aides diverses dans le cadre d’une politique de sédentarisation et de « roumanisation » forcée. Cela aurait eu pour conséquence de cristalliser les discriminations au sortir du communisme. Les Roms devenaient les boucs émissaires du nouveau régime.
Dans les années 1990, des pogroms anti-Roms ont secoué la Roumanie postsoviétique. Mais Maria, qui a passé son enfance et son adolescence sous le régime de Ceausescu, a une perception tout autre de la situation. Pour elle, rien n’a changé. Les Roms étaient autant discriminés avant qu’après la chute de Ceausescu. Simplement, les violences étaient moins perceptibles en raison de la fermeture des frontières. Maria se souvient du rejet quotidien. Exclus des villages, ils étaient mis à l’écart, le pope refusait parfois de venir célébrer une messe, ou d’enterrer les Roms dans le cimetière communal, à la manière des suicidés ou des condamnés. Elle se souvient des villages brûlés, des disparitions fréquentes dans les familles roms, disparitions classées sans suite par la police locale. Pour Maria, les discriminations ne sont pas récentes, c’est bien l’ouverture des frontières qui a offert l’opportunité du départ.
De nombreux Roms de l’est de l’Europe ont repris la route. Mais leurs migrations ne doivent rien au nomadisme que beaucoup leur attribuent à tort. Contrairement aux Tziganes de France qualifiés de « gens du voyage » depuis le XIXe siècle, les Roms venus de l’Est sont pour la plupart sédentarisés depuis des siècles. Ce n’est pas un mode de vie, plutôt la fuite d’un passé effrayant, d’un futur sans avenir.