Ils n’aiment pas les figues

Ils n’aiment pas les figues …

La journée a mal commencé. Ioan m’a rappelé ce matin. Ils sont à Château – Gombert mais la police est là elle aussi. Cette fois un policier accepte de me parler au téléphone. Dialogue surréaliste :
– Ils ne peuvent pas rester là !
– Mais ils vont où ? Ils sont chassés de partout !
– Non là c’est un terrain de la Mairie. Dites leurs d’aller sur un terrain du Conseil général.
– ????? Désolée, mais je n’ai pas le cadastre en mémoire …
– Et puis dites leurs de faire vite car là nous avons mobilisé un effectif important de policiers et on ne peut pas rester trop longtemps.
– ????? Vu que vous êtes auprès d’eux, dites leurs vous où ils peuvent se « poser »
….
Ioan me rappelle un peu plus tard. Ils sont à Bougainville mais la police aussi … Nouvel appel en début d’après midi, ils ont décidé de retourner à Gignac….

Lundi après midi, j’ai rendez vous avec une journaliste allemande. Nous nous étions rencontrées cet hiver. Une radio allemande lui avait commandé un sujet sur les expulsions de Roms. Nous étions allées aux anciens abattoirs. Des familles, qui étaient rue du Capitaine Gèze et dont l’expulsion était imminente, y avaient trouvé refuge, le temps d’un week-end … Nous avions retrouvé ces familles sur le trottoir. Il soufflait un vent glacial ce jour là… Nous avons reparlé aujourd’hui de cette journée qui l’a profondément choquée…
Aujourd’hui, vu que les Roms ont de nouveau fait la une de l’actualité cet été, une radio allemande lui demande de faire un reportage sur une famille. J’ai demandé à Cipriano de venir témoigner. Il a parlé longtemps, de sa vie en France où il habite depuis 5 ans, de ses projets… 4 expulsions en moins d’un an mais il ne se décourage pas…
Puis nous sommes allés sur son nouveau « terrain » (fin juillet il a du quitter le terrain de Saint Menet. Réseau ferré de France, propriétaire du terrain, les avait assignés en justice. Le juge du TA avait accordé l’expulsion avec de très brefs délais…).
Dans quelques mois, sur le nouveau terrain qu’ils occupent, une résidence sera construite « Les jardins de … » D’ici là ils peuvent rester mais à condition de ne pas être plus nombreux. Pour en être sur le propriétaire du terrain paie des vigiles 24h/24h … Du reste à notre arrivée le vigile refuse de nous laisser rentrer (la journaliste et moi !) puis il finit par accepter …
La famille de Cipriano et cinq autres familles sont installées sur une restanque. Chacune avec sa tente et son coin cuisine. L’endroit est paisible, avec une magnifique vue sur Marseille… On s’assoit autour d’une table, on discute. Il y a de nombreux figuiers sur cette restanque. Les arbres sont pleins de fruits mûrs. J’en mange quelques uns et leur demande si eux aussi en profitent, ils me regardent et me font comprendre qu’ils n’aiment pas ce fruit. Alors je me dis qu’effectivement « eux » et « nous » n’avons pas la même « culture ». Ils n’aiment pas les figues…

Caroline GODARD pour Rencontres Tsiganes

Lundi 3 septembre 2012


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