La grande hypocrisie

LA GRANDE HYPOCRISIE

Une fois de plus, il faut revenir sur le scandale de la désignation abusive et stigmatisante des personnes de nationalité française ou étrangère supposées appartenir à une ou des communautés dites « gens du voyage ». Les récents débats avec des journalistes montrent l’urgence à poursuivre la réflexion et à faire valoir les dangers d’une telle désignation. On rappellera tout d’abord que cette qualification abusive sinon erronée est, dans la majorité des cas, employée à l’occasion de comptes-rendus de faits de délinquance les plus divers, de trafics en tout genre mais aussi de grand banditisme, voire de meurtre etc. Le terme « gens du voyage » est fréquemment associé à une localisation géographique. On parle alors de « camps » de gens du voyage qui rappellent, de sinistre mémoire, les camps d’internement en France durant la deuxième guerre mondiale. Curieusement, comme le souligne à juste titre Marc Bordigoni, ce terme ne se décline pas au singulier. Le qualificatif « gens du voyage » tel que défini par les différentes lois et réglementations ne s’appliquerait donc qu’a des « communautés » ( quel gros mot !) Pour compléter ce tableau « abracadabrantesque » la désignation G.D.V. est maintenant associée au terme sédentaire. Il y aurait donc une ou des « communautés » de GVD, citoyens français doués d’ubiquité ; tout à la fois voyageurs (dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles) et sédentaires. Pour corser le tout, on a récemment pu lire dans la presse locale qu’un gamin de 13 ans avait été arrêté par la police conduisant un véhicule volé. Il était supposé de nationalité croate de la communauté rom et membre d’une famille de gens du voyage.

On pourrait ainsi multiplier les exemples de dénominations erronées où la maladresse, l’ignorance, et trop souvent la volonté manifeste de discrimination, se côtoient pour stigmatiser et rejeter une partie de nos concitoyens. A contrario, lorsqu’il s’agit de mettre en lumière leurs qualités artistiques et leurs modes d’expression culturelle, d’autres qualificatifs sont alors utilisés plus proches de leur histoire collective. On parle avec admiration et parfois même envie, de musiques tsiganes, de danses gitanes, de poèmes roms ou de jazz manouche. Il ne nous viendrait cependant pas à l’idée de traiter Django Rheinart, Tony Gatliff ou les Gypsy Kings de gens du voyage et pourtant !!!!

Il y a donc bien deux poids et deux mesures vis-à-vis de cette communauté dont on gomme arbitrairement la grande diversité en les désignant d’un terme en apparence neutre mais qui les met de fait à l’écart de la société d’accueil en les classant d’asociaux dangereux, et finalement inassimilables.

Les journalistes que nous interpellons régulièrement sur ce thème nous font part de leur perplexité : que faire ? que dire ? qu’écrire ? Ils disent reproduire dans la plupart des cas les informations transmises par les autorités administratives et policières. Cet argument ne nous paraît pas recevable. Les journalistes sont les seuls juges des qualificatifs qu’ils utilisent et ils savent, dans d’autres circonstances, éviter les pièges d’une dénomination communautaire stigmatisante et illégale. Constatons, de plus, qu’associer une personne présumée coupable et dangereuse à une communauté, un groupe familial ou religieux ou encore à un lieu de résidence n’ajoute rien à la pertinence de l’information mais jette la suspicion sur tout le groupe auquel elle est supposée appartenir. Gardons-nous pour autant de mettre en accusation la « communauté » des journalistes. Au-delà des mots employés, la question mise en lumière concerne notre capacité à admettre la présence à côté d’une culture dominante, de modes de vie et d’expression différents de la majorité. Il faudra qu’un jour nous reconnaissions que la diversité des « communautés » n’est pas un danger mais un enrichissement réciproque. Désigner abusivement le « communautarisme » comme principal ennemi de notre civilisation est un moyen trop simpliste de mettre un terme au débat pour camoufler l’intolérance, et le rejet d’une minorité. 

Alain FOUREST
Marseille le 30 avril 2012


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